Réintroduire la culture du pastel en Normandie : le rêve bleu d’Aurore et Arnaud

Produire un pigment bleu pastel français et durable comme alternative à l’indigo synthétique : c’est le rêve fou de l’entreprise Blue & Plastel. L’objectif de ses deux cofondateurs est de monter une filière agricole autour d’un outil industriel en Normandie, pour extraire le pigment en question des feuilles d’une plante nommée Pastel des teinturiers.

Début décembre, le concours Vegepolys Valley a récompensé un projet pour le moins original. L’entreprise Blue & Pastel, l’un des trois lauréats, a pour objectif de construire une filière et un outil industriel autour de la culture du Pastel des teinturiers. Aurore Cottrel et Arnaud Besnier, les deux agriculteurs à l’origine de ce projet, ont pour objectif d’extraire le pigment pastel que produisent les feuilles de cette plante. Ils espèrent également récolter les graines pour en extraire l’huile ou encore valoriser les molécules phyto-actives de la racine. « L’idée est de proposer une matière pérenne et durable en maîtrisant la filière de l’amont à l’aval. Nous visons la clientèle du textile de luxe pour la teinture, de la cosmétique pour les pigments et les huiles ou encore de l’agroalimentaire pour les colorants alimentaires naturels », retrace Aurore Cottrel. Les deux fondateurs de Blue&Pastel ambitionnent un projet coopératif dans lequel pourraient s’investir les agriculteurs du secteur. L’enjeu d’une nouvelle filière locale a une portée symbolique car il est prévu que l’outil industriel soit implanté sur la zone de Cagny (Calvados), où la sucrerie Saint-Louis a récemment fermé ses portes.

Les feuilles du Pastel des teinturiers sont récoltées pour la production de teinture.

Un itinéraire cultural entre crucifère et luzerne

Les feuilles du Pastel des teinturiers dont est extrait le pigment se récoltent la première année de culture. À l’image d’une luzerne, la parcelle est fauchée à plusieurs reprises dans la saison. Sur la culture de 2 hectares mise en place chez Arnaud Besnier, c’est une autochargeuse Bertino qui réalise cette opération. Le Pastel des teinturiers étant une crucifère, la culture est menée comme un colza, avec un semis plus tardif qui peut être réalisé jusqu’à fin octobre en Normandie. « C’est une plante bisannuelle, mais elle peut monter en graine la première année si elle est semée trop tôt. Je fais attention à l’implanter le plus tard possible pour éviter ce risque », témoigne Aurore Cottrel. Selon des résultats obtenus sur plusieurs dizaines d’hectares dans le Gers, le rendement espéré se chiffre à 40 t/ha pour les feuilles.

Le Pastel des teinturiers en fleurs.

Une histoire de passionné

« Au moyen-Age, cette plante avait pour nom or bleu de Picardie », rappelle Aurore Cottrel. Cultivée dans de nombreuses régions françaises, elle a disparu face à la concurrence de l’indigo dans un premier temps, puis des teintures synthétiques. C’est en 2017, qu’Aurore Cottrel et son mari en sèment sur leur ferme picarde. Ils ont alors pour objectif de pérenniser l’exploitation avec un projet novateur. Après la disparition brutale de son époux quelques mois plus tard, elle continue seule à expérimenter cette culture et à réaliser l’extraction des pigments à la main. « Dans le même temps, je devais gérer l’ensemble de l’exploitation seule. Ça n’a pas été une période facile, d’autant plus que pour beaucoup de personne, une femme seule ne peut pas s’en sortir en agriculture », se souvient-elle. Mais c’est aussi sa condition de femme qui lui permet de se rapprocher de l’association Cagnotte des champs qui met en lumière des projets agricoles portés par des femmes. Par ce biais, elle trouve une première exposition médiatique et des premiers donateurs pour soutenir son projet.

Le pigment bleu pastel extrait des feuilles.

Une rencontre qui change tout

C’est sa rencontre avec Arnaud Besnier lors d’une formation du Cerfrance qui offre une nouvelle dimension au projet. « Il m’a proposé de continuer le projet avec moi à condition d’en faire un projet coopératif », se souvient-elle. De Picardie, la culture du Pastel des teinturiers est alors transférée sur l’exploitation du Normand et l’aventure prend une nouvelle dimension. « J’ai retravaillé la méthode d’extraction dans ma cuisine des centaines de fois pour obtenir un résultat. Puis un laboratoire nous a ouvert ses portes afin que nous puissions travailler le modèle avec ses chimistes », raconte Aurore Cottrel.

En 2021, les deux fondateurs de Blue & Plastel reçoivent les trophées de la bioéconomie, intègrent le Village by CA de Caen et surtout obtiennent un soutien conséquent de la région Normandie. La conception de l’outil industriel représente la prochaine étape de cette success story avec une échéance fin 2024. « Nous avons déjà une liste d’agriculteurs intéressés pour cultiver le Pastel des teinturiers », se félicite Aurore Cottrel.

À l’image d’une luzerne, la parcelle est fauchée à plusieurs reprises dans la saison.