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Mercredi 17/12/2025
Salers traite : un système assumé, reconnu et économiquement rentable
Système d’élevage ancestral, le salers trait a failli ne pas survivre à la spécialisation. Depuis les années 2000, il a dépoussiéré son image et démontré sa pertinence économique.
Depuis plus d’une décennie, Géraud Delorme porte avec ténacité, sans complexe ni concession d’ailleurs, la cause du système de la salers traite, qui, comme bien d’autres, a bien failli disparaître sur l’autel de la spécialisation et de la productivité avant de trouver un nouveau souffle auprès de jeunes éleveurs passionnés. Ce mercredi 17 décembre, l’éleveur de Joursac va passer la main à la présidence de l’association Tradition salers sans regrets et avec une foi intacte dans la pertinence économique de ce
système d’élevage qui a traversé les siècles.
Déringardisé...
À l’heure de regarder dans le rétroviseur, quelles sont les avancées qui ont marqué ces
14 années à la tête de Tradition salers ?
Géraud Delorme : “Quand je suis arrivé en 2011, mon idée était de “déringardiser” le métier et notre système d’élevage. On avait un discours et l’image d’être les derniers survivants d’un système qui avait survécu un peu par miracle, d’être les derniers buronniers... On a mis en place une stratégie de communication à la fois à destination du grand public mais aussi du monde agricole. Auprès du monde agricole en nous appuyant sur le cas type “salers traite” du réseau de références de la Chambre d’agriculture et l’organisation d’un concours laitier salers une année sur deu. Ainsi que via l’édition de supports de communication et d’un stand tenu sur diverses manifestations (National salers, Salon de l’agriculture, salons Slow food à Turin ou à Bras en Italie...). L’objectif étant la fois, de faire connaître les fromages au lait de salers et le système d’élevage traditionnel salers. On a bénéficié d’un gros coup de pouce, totalement imprévu, avec la création par Laurent Galaup d’une page Facebook “Pour la défense de la salers traite” qui a démultiplié notre travail.”
Quid de la valorisation du lait et des fromages au lait de salers et donc de la rémunération d’un système très exigeant en main d’œuvre ?
G. D. : “Dans les années 2000,
l’association Tradition salers avait réussi à obtenir dans le décret de 2000 de l’AOP salers une démarcation des produits fermiers au lait de salers avec la mention Tradition salers, tout en accompagnant l’essor de filières comme avec la coopérative de Saint-Bonnet-de-Salers, la coopérative Val’Lait salers dans la vallée de la Cère... Quand je suis arrivé, j’étais convaincu que la filière fermière allait s’effondrer et qu’elle serait remplacée par ces filières collectives en raison de la charge de travail dans les ateliers fermiers. L’histoire m’a donné tort : les filières coopératives se sont effilochées pour plusieurs raisons : dispersion des producteurs, faibles litrages rendant les coûts de collecte et de transformation élevés...
Le maintien affirmé de la production fermière
A contrario, la production fermière s’est maintenue. En 2006, on comptait 95 producteurs d’AOP salers (toutes races), dont 14 en Tradition salers soit 15 %
de l’effectif. En 2025, entre les fabrications AOP et hors AOP, on recense 15 ateliers fermiers qui transforment du lait de salers, et un 16e arrive pour 2026. Il y a donc un bon renouvellement des générations dans la filière fermière. En volumes, on a aussi maintenu le ratio autour de 5 % de Tradition salers au sein de l’AOP.”
Ce système reste confidentiel en effectif et volumes, est-il néanmoins reconnu par la profession agricole et ses partenaires institutionnels ?
G. D. : “La première réunion que j’ai faite à l’Inra en tant que président, c’était sur le programme expérimental de traite de la salers sans veau... ça m’a très vite
interpellé(1). Et la position que j’ai toujours défendue depuis, c’est que la salers traite n’était pas là pour faire de la figuration comme le fait la race aubrac pour l’AOP laguiole. Le rameau laitier de la salers a lui toujours existé et je n’étais pas d’accord de le remplacer par quelque chose qui n’amènerait rien ni au consommateur, ni aux éleveurs, ni au produit. Ça a été un fil rouge de ma présidence.
Dans les évolutions politiques favorables, il faut aussi souligner la reconnaissance par le Cif(2) du système Tradition salers comme système d’élevage à part. Ça a été une avancée majeure et un travail de terrain très bénéfique a été réalisé pour renforcer encore la mention Tradition salers dans le futur cahier des charges. De même, le Cif a proposé la reconnaissance d’un cantal Tradition, au lait de salers, dans la révision en cours du cahier des charges de l’AOP. On espère que cela va aboutir. Aujourd’hui, on peut se féliciter que le salers trait soit reconnu du grand public, des consommateurs, des éleveurs, des politiques...”
Et sur le plan génétique, où en est le rameau laitier ?
G. D. : “On est sur un niveau génétique plutôt stable qui mérite d’être amélioré. C’est peut-être le volet sur lequel il a été le moins aisé de faire travailler les éleveurs et sur lequel on aurait pu faire mieux. Trouver une ligne médiane qui fédère les éleveurs et les fasse avancer alors qu’il y a plusieurs “écoles” est resté compliqué.”
Il se parle de génotypage des salers traites... ?
G. D. : “C’est un très bon projet mais il ne faut pas se faire d’illusion : on n’aura pas de résultats immédiats. C’est pourquoi il ne faut pas négliger le travail de base, c’est-à-dire sélectionner les meilleurs taureaux améliorateurs, les faire s’accoupler avec les meilleures vaches... Nous avons la chance aujourd’hui que toutes les vaches salers traites soient suivies par le même technicien du Herd-book, ce qui lui permet d’avoir un œil beaucoup plus avisé pour délivrer des conseils.”
Ne lâcher ni sur la qualité ni sur la sélection génétique
Quels sont les enjeux pour demain ?
G. D. : “Ne pas se reposer sur nos lauriers, à tous les niveaux. Sur l’AOP Tradition salers, si le produit se vend bien, à un bon prix, s’il est prisé des clients professionnels comme des particuliers, c’est grâce à sa qualité. C’est ça le vecteur de plus-value. Il ne faut surtout pas se laisser aller à une exigence moindre : vendre seulement une image, ça ne marche pas !
Idem sur la sélection génétique : bien sûr l’idée n’est pas de transformer la salers en holstein, mais d’avoir des animaux de montagne qui se contentent d’herbe, de foin et d’une complémentation minimale, qui arrivent à faire du lait dans des conditions d’élevage rustiques, avec des systèmes économes en intrants permettant ainsi aux éleveurs de dégager de la marge. Il ne faut pas se laisser aveugler par une sélection basée uniquement sur la morphologie, il faut du potentiel laitier. Les deux axes prioritaires sont bien ceux-là : produire du lait et bien le vendre pour rémunérer la main d’œuvre.”
Ne craignez-vous pas que le contexte haussier des prix des broutards et de la viande ne détourne les éleveurs ou futurs éleveurs potentiels de salers traites de ce système ?
G. D. : “Encore une fois, la question n’est pas le travail mais sa rémunération. Ces prix de la viande plus élevés ne font que renforcer les résultats économiques des élevages salers trait qui bénéficient d’une double source de revenus, le lait et la viande. On oublie aussi souvent de mettre en avant la docilité de nos animaux, habitués tout petits à la proximité de l’éleveur. C’est un argument pour ceux qui vendent des génisses d’élevage en plus de leur valeur maternelle.”
Salers : la vache tout-terrain
Êtes-vous confiant dans l’avenir de ce système d’élevage ancestral, dans la capacité à s’affirmer dans un contexte à forts enjeux, notamment climatiques et
sociétaux ?
G. D. : “Oui et il ne faut pas avoir peur d’être dans un système d’élevage différent, alternatif en quelque sorte. Si le système salers trait a traversé toutes les crises et les guerres, c’est parce qu’il est adapté à notre territoire. Il y a 2 000 ans déjà, il se faisait du fromage dans la région, et on peut imaginer que c’était avec des ancêtres de nos salers. C’est un système calqué sur le rythme des saisons, avec du lait produit tout l’été à l’herbe propice à la qualité des fromages ; des vaches taries l’hiver, ce qui laisse une période de repos aux éleveurs. Et tout est bâti sur les spécificités de la salers dont l’instinct maternel est tel qu’elle refuse de donner son lait sans son veau.
Même si ce n’est pas une grosse productrice, la salers, par sa rusticité, à un côté 4x4, tout terrain, qui lui permet de s’adapter plus facilement aux pénuries alimentaires en cas de sécheresses. C’est la fameuse vache accordéon...”
(1) Ces travaux ont conclu que seules 3 % des salers pouvaient potentiellement se passer du veau pour la traite mais
avec des durées de lactations bien plus courtes et des performances laitières moindres que celles traites avec leurs veaux.
(2) Comité interprofessionnel des fromages cantal et salers AOP.