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Toï-Toï : et si la traite allait aux vaches ?
Concilier la robotisation et le pâturage, profiter des services et du confort du numérique tout en gardant les bénéfices de l’élevage herbager : c’est l’objectif de Toï-Toï, un système de traite nomade et autonome. Bleuenn Clouet, la conceptrice de ce projet qui n’est encore que virtuel, interroge les usages et pratiques de la traite et invite à la penser « en dehors du cadre »
Une designer qui s’intéresse au monde agricole et à la traite des vaches ? L’aventure n’est pas commune, mais c’est celle que vit, depuis deux ans, Bleuenn Clouet, 23 ans, aujourd’hui fraîchement diplômée de l’école de design de Nantes Atlantique : elle a réalisé son projet de fin d’études sur un système de traite robotisée mobile.
Aller le plus loin possible dans un projet original
« Lorsque nous avons choisi notre projet de fin d’étude, les professeurs nous ont prévenus : "Prenez quelque chose qui vous passionne, car vous allez y passer deux ans !", raconte la jeune femme. Ils nous ont encouragés à profiter de cette expérience : "Peut-être que vous n’aurez jamais plus, dans votre carrière, l’occasion de choisir votre sujet et d’aller aussi loin dans un projet" ».
Bleuenn Clouet a donc choisi un sujet qui lui tenait à cœur et qu’elle connaissait bien, étant fille d’éleveurs laitiers bio à La Chevrolière (44) : la traite robotisée et sa compatibilité avec le pâturage. Pratique et technique, ce sujet aborde, en plus, des enjeux d’avenir essentiels, tant pour le monde agricole et que pour la société : bien-être animal, environnement, pénibilité du travail, développement du numérique, rentabilité économique de l’élevage laitier, autonomie alimentaire du cheptel…
Poser sa problématique et en envisager tous les aspects
Le point de départ de la réflexion de Bleuenn était le suivant : « Beaucoup d’éleveurs qui s’équipent d’un robot de traite réduisent, voire suppriment, le pâturage. En France, 92 % des vaches pâturent en général, mais seulement 48 % le font encore sur les exploitations équipées de robots de traite ».
Pour réussir à concilier robotisation de la traite et pâturage, la jeune étudiante s’est donc attelée à étudier tous les aspects techniques, pratiques et même réglementaires, de la traite, de la robotisation, du pâturage, de la pousse de l’herbe, des solutions logicielles existantes… Pour compléter ses investigations, elle a interrogé des éleveurs, équipés ou non de robots, et s’est adjoint des conseils d’experts, spécialistes de la traite, des bâtiments et de la robotisation agricole.
Toï-Toï : repenser un système complet
La solution que Bleuenn Clouet propose pour répondre à sa problématique se nomme Toï-Toï : son principal élément est une station de traite mobile, montée sur chenilles, capable de se déplacer d’une pâture à l’autre de manière autonome au rythme d’un pâturage tournant, ou d’être tractée s’il lui faut aller dans une pâture plus éloignée.
La station de traite Toï-Toï se compose de trois zones : une zone pour le robot, avec l’objectif d’être compatible avec les différentes marques existantes ; une zone technique avec les pompes, moteurs, batteries… et les stockages du lait et de l’eau ; et une zone de travail pour l’éleveur, où il pourra assurer les soins aux animaux et l’entretien quotidien du robot.
En plus de cette station de traite, le système imaginé par Bleuenn comporte une unité de transfert mobile. Plus petite (d’une capacité de 300 litres), elle est également autonome et sera chargée de collecter régulièrement le lait de la station de traite pour le conduire à un tank à lait réfrigéré. Ce dernier serait placé à un endroit fixe et facilement accessible pour le camion du laitier, par exemple en bord de route. Cette petite station mobile et autonome assurerait aussi le ravitaillement en eau propre.
Du potentiel, selon les professionnels
L’ensemble de la solution a été réfléchi pour qu’il n’y ait aucun danger pour les hommes, les animaux (effaroucheurs sonores, système d’évitement d’obstacles, géopositionnement), ou même pour les sols, que toutes les conditions d’hygiène soient respectées et qu’il n’y ait pas de rupture du froid.
Grâce au numérique, Bleuenn a pu faire exister Toï-Toï virtuellement dans toutes ses dimensions et a même proposé à des utilisateurs potentiels de le tester en réalité virtuelle. Elle a également présenté une version de son projet lors du dernier Space, dans le cadre du Tech’agri challenge, devant un jury de professionnels et même devant la ministre de l’Agriculture.
« Depuis que Toï-Toï est sorti, beaucoup de gens se sont montrés intéressés et ont même jugé que la solution avait du potentiel », raconte Bleuenn. Mais pour l’heure, Toï-Toï n’est encore que virtuel... Pour qu’il prenne vie, il faudrait qu’un concepteur « puisse prendre le risque » de construire un tel outil, qui rompt radicalement avec les usages.
La fin des bâtiments ?
Avec Toï-Toï, un éleveur pourrait se passer de bâtiment pour les vaches, voire, se passer totalement de logement pour les animaux, s’il dispose de parcelles adaptées et, s’il met en place un système de vaches nourrices pour l’élevage des jeunes (comme c’est le cas chez les parents de Bleuenn).
Pour la jeune femme, la face de l’élevage laitier en serait changée : sans bâtiments, les installations seraient plus faciles (moins de capitaux), les conditions de bien-être animal et de santé animale seraient optimales, le travail des éleveurs serait moins pénible, plus autonome et au moins aussi rentable qu’aujourd’hui… « C’est aussi cela le rôle du designer : questionner les usages et les problématiques de fond, imaginer des choses différentes, voire « provoquer » la société ».
Toï-Toï : pourquoi ce nom ?« C’est un clin d’œil familial, explique Bleuenn. Mon grand-père utilisait ce cri, qui était le prénom d’une vache, pour appeler son troupeau. Depuis, nous avons tous continué à crier Toï-Toï pour appeler nos bêtes ». |