Tout savoir (ou presque) sur le biochar

Issu de la pyrolyse de produits ligneux et autres matières organiques, le biochar est un puits de carbone reconnu par le Giec, au service de la fertilité des sols, mais pas seulement. Doué d’atténuation et d’adaptation au changement climatique, ce nouvel « or noir » reste néanmoins en quête de son mode d’emploi agronomique et plus encore de son modèle économique.

Ce 29 mars se déroulent à Rennes (Ille-et-Vilaine) les premières Assises nationales des biochars, à l’initiative de l’association Aile, spécialisée dans la maîtrise de l'énergie et les énergies renouvelables en milieu agricole et rural, de Bretagne Eco-Entreprises (B2E), pôle régional de la transition écologique et énergétique et de l’Institut polytechnique UniLaSalle. Ces trois partenaires sont impliqués dans le projet Interreg Three C (2019-2023), un programme européen de développement des filières de charbons bio-sourcés, durables et respectueux des enjeux climatiques. Il vise notamment à structurer les écosystèmes territoriaux économiques autour du biochar.

Qu’est-ce que le biochar ?

Le biochar est la contraction de « bio-charcoal », désignant un charbon d’origine végétale. Il est obtenu par la transformation thermique (pyrolyse ou gazéification) de différentes sources de biomasse : sous-produits de la filière bois, résidus des récoltes, déjections solides, déchets verts, déchets alimentaires....

Le biochar permet de rééquilibrer les sols acides, d’augmenter la capacité de rétention en eau et en éléments minéraux, d’améliorer la porosité, de participer à l’épuration du sol et de l’eau et de stimuler la vie microbienne (Crédit photo : Terra Fertilis)
Le biochar permet de rééquilibrer les sols acides, d’augmenter la capacité de rétention en eau et en éléments minéraux, d’améliorer la porosité, de participer à l’épuration du sol et de l’eau et de stimuler la vie microbienne (Crédit photo : Terra Fertilis)

Pyrolyse ou gazéification

La pyrolyse consiste à chauffer la biomasse entre 350°C et 650℃ en l’absence d’oxygène. Il en résulte la production de composants gazeux (méthane et hydrogène à usage de combustible), liquide (huile et hydrocarbures à usage de biocarburant) et d’un composant solide et stable : le biochar. Celui-ci renferme la fraction minérale de la biomasse, ainsi que le « carbone fixe » qui ne s’est pas transformé en gaz ou liquide. Les paramètres de durée et de température conditionnent les ratios entre production de gaz et de biochar. Le gaz produit peut être réinjecté pour alimenter la pyrolyse ou servir la production de gaz renouvelable, et notamment de l’hydrogène vert.

La gazéification est une pyrolyse suivie d’un processus de transformation des phases non gazeuses en gaz de synthèse par ajout d’une petite quantité d’air, d’oxygène, de CO2 ou de vapeur d’eau.

Quel est le rendement du bois en biochar ?

Selon une note d’analyse de l’Association de recherche technique betteravière (ARTB), en ce qui concerne la pyrolyse lente (350°C à 400°C), la plus propice à la production de biochar, 35% de la matière de départ se retrouve sous forme de biochar et 10% en gazéification. Il faut donc 3,8 tonnes de bois à 75% de matière sèche pour produire une 1 tonne de biochar, contre 13,3 tonnes pour la gazéification. Le niveau de pureté en carbone du biochar peut atteindre 90% (contre 60% pour le charbon) avec une surface spécifique de 420 m²/g (contre 150 m²/g pour le charbon).

Le biochar, un puits de carbone à empreinte négative

Une tonne de biochar permet de séquestrer entre 1,3 et 3 tonnes équivalent de CO2 sur un horizon de plusieurs siècles, une variabilité liée à la nature de la ressource et au process mis en œuvre. Du fait de ses capacités et de sa stabilité, le biochar est ainsi considéré depuis 2018 comme un puissant puits de carbone, érigé par le Giec en « Negative Emission Technologies », c’est à dire capable d’extraire durablement et irréversiblement le CO2 de l’atmosphère. La filière a en outre l’avantage de mobiliser des ressources locales et de valoriser ses produits (gaz, biochar) tout aussi localement.

Quels sont les propriétés et les débouchés du biochar ?

Par ses capacités d’adsorption, le biochar permet de bloquer les éléments nobles (eau, éléments minéraux, biodiversité du sol) ou au contraire indésirables, au service des gestionnaires des ressources (eau, air, sol). Il est ainsi utilisé dans le traitement de l’eau (potabilisation, assainissement, filtration), le traitement des gaz et de l’air (épuration, désodorisation). Il a aussi des débouchés dans les industries agroalimentaire, textile, cosmétique ou encore dans la construction (béton, polymères). Sans oublier l’agriculture.

Quels sont les débouchés agricoles du biochar ?

Outre son usage en tant qu’amendement, le biochar peut être utilisé à des fins de traitement des fumiers et des litières (réduction des odeurs et des GES), ainsi qu’en tant qu’additif pour le compostage, l’ensilage, la méthanisation ou encore l’alimentation (effet positif sur la digestibilité, le gain de masse et l’apport en nutriments).

Effets agronomiques du biochar selon une méta-analyse basée sur 371 travaux scientifiques (Source : Biederman & Harpole - 2013)
Effets agronomiques du biochar selon une méta-analyse basée sur 371 travaux scientifiques (Source : Biederman & Harpole - 2013)

Quelles sont les vertus agronomiques du biochar ?

Caractérisé par un pH basique (7 à 10), le biochar permet de rééquilibrer les sols acides, d’augmenter la capacité de rétention en eau et en éléments minéraux, d’améliorer la porosité, de participer à l’épuration du sol et de l’eau et de stimuler la vie microbienne. Les principales propriétés physicochimiques à prendre en compte lors de l'utilisation du biochar comme amendement sont sa porosité, sa surface spécifique, sa capacité de rétention d'eau, son pH, sa conductivité électrique (CE), sa capacité d'échange cationique (CEC) ainsi que le type et la concentration en composés minéraux (et éventuellement en composés toxiques). Le « mode d’emploi » du biochar à des fins agricoles en climat tempéré reste embryonnaire, d’autant plus que la disponibilité et les prix sont rédhibitoires.

Quel est le prix de revient du biochar ?

Selon l’analyse de l’ARTB, le prix varie entre 500 €/t à plus de 1 000 €/t. Sur la base d’un apport de 2,66 t/ha, correspondant au plafond de 45g de CO2/MJ instauré par la Directive Red II (énergies renouvelables), l’ARTB estime le coût de l’apport à 2.262 €/ha, duquel il faut déduire la valorisation de 8,3 tCO2/ha de crédits carbone à 40 €/t, soit 332 €/ha. Le modèle économique du biochar est en partie suspendu à sa valorisation sur le marché de la compensation carbone.

Qui produit du biochar en France ?

L’entreprise Terra Fertilis (Groupe SLB), basée à Argentan (Orne) a obtenu de l’Anses en 2021 une autorisation de la mise sur le marché du Crescilis et du Crescifertilis au titre des Matières fertilisantes et support de culture (MFSC). Le produit est un rétenteur d'eau à base biochar issu de la pyrolyse de granulés ou plaquettes de bois issus de résineux, de charme, de hêtre ou d’eucalyptus. Les deux spécialités, qui ont obtenu la certification ECB (European biochar certificate), sont commercialisés en jardinerie. Ils peuvent être utilisés en agriculture biologique. Terra Fertilis fait état d’une production de 300 t/an, qui sera doublée d’ici à 2024.

Quels sont les autres acteurs français ?

En dehors de Terra Fertilis, sont actives deux startups que sont NetZero, qui compte comme co-fondateur le climatologue Jean Jouzel, et Carboneloop. NetZero s’est fixée l’objectif de mettre en service 600 sites de production à l’horizon 2030 susceptibles de capter de 2 millions de tonnes équivalent CO2 par an. Carbonloop est sur un objectif de 200 sites à échéance 2030 et 1 million de tonnes équivalent CO2 par an. La startup propose une solution intégrée, incluant le financement du projet, l’approvisionnement en biomasse, l’exploitation et la gestion des services associés au biochar et à la certification carbone. Une unité sera inaugurée d’ici à la fin de l’année dans les Yvelines, en partenariat avec la société française Haffner Energy, qui conçoit et fournit des technologies aptes à produire de l’hydrogène vert et du gaz renouvelable en remplacement du gaz naturel. Un autre projet est en cours au sein d’une maison de Cognac.

Quelles sont les perspectives du biochar en France et Europe ?

Selon l’European Biochar Industry (EBI), 33.500 t de biochar, équivalant à la séquestration de 90.000 t de CO2, ont été produites dans l’UE en 2022, réparties sur 130 sites, et certifiées à 70% (ECB, Puro.earth, Verra). L’Allemagne concentre 32% de la production, devant la Scandinavie (25%), la Suisse et l’Autriche (18%). Les perspectives font état de 6 millions de tonnes équivalent CO2 par an à l’horizon 2030 et 100 millions de tonnes équivalent CO2 par an à l’horizon 2040.