Le guide de l'assurance récoltes

Partie 3/7

L’État et le « dilemme du bon samaritain »

La mise en place de la nouvelle assurance récoltes constitue une petite révolution pour de nombreux agriculteurs. En effet, elle modifie la stratégie française de la gestion des risques climatiques : de massivement « après l'aléa », et avec des sommes dépensées considérables, elle se réoriente en partie « avant l'aléa », avec l'objectif de faire intervenir davantage le système assurantiel.

Jusqu'à présent, en matière de dégâts causés aux cultures par des aléas climatiques, et malgré la mise en place d'un système d'assurance pour quelques productions, la France a plutôt privilégié l'action « après » aléa : les Pouvoirs publics intervenaient avec le système des calamités agricoles (fondé en 1964), mais aussi à travers tout un ensemble de « plans d'aides d'urgences », comprenant allègements de charges, exonérations de taxes, prise en charge d’intérêts d'emprunts, etc.

Ces systèmes sont administrativement lourds et les remboursements surviennent souvent avec des mois de retard (et avec des montants incertains, parfois décevants), mais les agriculteurs et leurs organisations sont désormais rodés à ces procédures. Dans ce système, c'est l’État qui atténue les conséquences des aléas sur les revenus et contribue à préserver les plus fragiles d'entre eux de la faillite.

Plusieurs milliards d'euros chaque année

Alexandre Gohin, directeur de recherche à l'Inrae, a étudié les mécanismes de gestion des risques en agriculture. Lorsqu'il porte son regard d'économiste sur le système français, il estime que l’État se retrouve soumis, et « même coincé » dans le dilemme du « bon samaritain » : « Soit il choisit de ne pas aider l’autre à la suite d’un sinistre, ce qui lui pose un problème moral, soit il choisit de l’aider, ce qui ne lui donne pas les bonnes incitations pour s’adapter » (1).

"Les Etats-Unis consacrent 50% des soutiens publics à la gestion des risques"

L'économiste a tenté d'estimer les sommes dépensées, ces dernières années, pour compenser les aléas climatiques. Elles sont difficiles à comptabiliser (émanant de très nombreuses sources et pas uniquement du ministère de l'Agriculture), mais elles sont de l'ordre de plusieurs milliards d'euros chaque année (ces soutiens ont aussi un aspect électoral). En comparaison, les sommes dépensées par l’État pour la gestion en amont (subventions aux primes d'assurances) ne représentent que 0,1 milliard d'euros par an. Un déséquilibre qui d'ailleurs n'est pas que français, mais assez répandu en Europe : « Avec la PAC, l'Europe ne consacre qu'environ 3% de ses soutiens publics à la gestion des risques. Aux USA, c'est 50% des soutiens publics », poursuit Alexandre Gohin.

Efficacité de l'argent public dépensé

La réforme de l'assurance récoltes tend à déplacer une partie des soutiens publics « avant l'aléa », en subvention à la prime d'assurance climatique, tout en gardant un filet de sécurité public pour l'après aléa. Selon l'économiste, dans l'état actuel des connaissances, les fonds publics dépensés avant le risque sont plus efficaces, car les agriculteurs qui font la démarche de s'assurer doivent « partager avec leur assureur leur vision du sinistre potentiel ». « Il n'y a pas de système parfait », reconnaît-il, mais cette démarche d'objectivation des risques incite, selon lui, davantage à mettre en place des solutions d'adaptation durables que le système post aléas.

Toutefois, pour que le système assurantiel fonctionne, un élément est essentiel : l'accès à des informations fiables pour les deux parties, assureur et agriculteur. Ces informations nécessaires sont de tous ordres : données météo, données sur les sols, sur les types de conduites, sur les rendements culturaux réalisés, sur l'efficacité des dispositifs de prévention des risques, etc.

Selon Alexandre Gohin, c'est le rôle de la recherche (laboratoires publics et instituts techniques) que de produire davantage de connaissances autour de cette gestion des risques. Il plaide pour que les travaux sur le sujet se multiplient et au passage, il aimerait que les chercheurs soient représentés au sein de la Codar (Commission chargée de l’orientation et du développement des assurances garantissant les dommages causés aux récoltes).

L'agriculteur ne doit pas être seul à porter le fardeau

Par ailleurs, l'économiste rappelle que le système assurantiel ne constitue pas le seul outil de gestion des risques. Les solutions techniques et technologiques sont aussi des éléments de réponses, tout comme le partage du risque dans la filière. « L'agriculteur ne doit pas être le seul à porter le fardeau ».

Si on imagine bien que les coopératives, voire les banques, puissent prendre une part du risque climatique encouru par l'agriculteur, Alexandre Gohin propose une autre idée : impliquer le propriétaire foncier. « Pour l'instant, ce dernier ne supporte jamais les conséquences du risque sur les cultures. On pourrait imaginer que les fermages puissent fluctuer d'une année sur l'autre, en fonction des rendements ou d'un indice lié à un aléa ».

(1) L'analyse d'Alexandre Gohin, présentée à l'occasion des Journées de recherche de la science sociales 2021 est disponible ici.

>> Chapitre suivant : Une culture de la gestion des risques à développer

 

Retour au sommaire