4 fois plus de biogaz en 2030 : entre projets agricoles et installations privées, la filière veut relever le défi

Pour atteindre les objectifs fixés par la programmation pluriannuelle de l’énergie à horizon 2030, la filière biogaz va devoir mettre les bouchées doubles. Si les projets agricoles sous tarifs réglementés ont encore un rôle prépondérant à jouer, les installations aux dimensions importantes nécessitant des capitaux extérieurs seront inévitables.

La troisième programmation pluriannuelle de l’énergie, qui ambitionne d’accélérer la production nationale d’énergie décarbonée, prévoit d’atteindre 44 TWh de biogaz injecté dans le réseau en 2030. Un chiffre qui peut sembler ambitieux, alors que les 725 unités de méthanisation en fonctionnement actuellement ne produisent que 13,5 TWh. Pourtant, les acteurs de la filière y croient pleinement. « En Pays de la Loire, nous avons un objectif de 4 TWh. Il y a déjà une production de 1 TWh, à laquelle nous pouvons ajouter 1 TWh supplémentaire de projets en construction qui injecteront à horizon 2 à 3 ans. Il ne faut donc pas multiplier par quatre, mais par deux les volumes de biogaz d’ici 5 ans », chiffre Christophe Bellet, directeur adjoint de la région centre ouest chez GRDF.

"85 % du total du gisement méthanisable est agricole"

Un constat qui s’applique à l’ensemble du territoire en termes de dynamique. « Il n’y a pas de frein comptable pour atteindre cet objectif, que ce soit en termes d’accès au réseau ou de ressource méthanisable », assure de son côté Hugo Kech, chargé d’études en méthanisation au sein de l’association AILE. Il insiste sur l’importance du secteur agricole dans le développement des futurs projets. « 85 % du total du gisement méthanisable est agricole. Pour atteindre 44 TWh en 2030, il faudra développer prioritairement les effluents d’élevage et les cultures intermédiaires à vocation énergétique », souligne-t-il.

En se projetant jusqu’en 2050, GRDF envisage même un gaz 100 % renouvelable sur le territoire. « Ce sera possible grâce au double effet de la montée en puissance du gaz vert et de la baisse de la consommation qui recule de 3 % chaque année », précise Christophe Bellet.

Les certificats de production de biogaz entrent en jeu

Cette montée en puissance du biogaz se fera via les installations agricoles, mais pas uniquement. François Haumont, directeur commercial au sein de Keon, entreprise spécialisée dans le développement de projets de méthanisation, livre son analyse sur le sujet. « L’objectif est d’atteindre 20 TWh sous contrat d’achat réglementé, c’est-à-dire avec le modèle actuellement en place, et le restant via des projets de vente à des fournisseurs de gaz via les nouveaux dispositifs de certificat de production de biogaz », détaille-t-il.

Pour appréhender la différence entre les deux types de projets, il faut comprendre que les 13,5 TWh actuellement en fonctionnement reposent sur les tarifs réglementés. Il manque donc 6,5 TWh à raccorder au réseau pour atteindre l’objectif de 20 TWh. Selon les projections de François Haumont, cela représente 350 à 400 projets. Rien d’inaccessible donc.

Les installations se basant sur les certificats de production de biogaz (CPB) représentent elles un nouveau modèle à inventer. Les premiers contrats y ayant recours commencent seulement à être signés. Le directeur commercial de Keon se veut plus prudent sur la possibilité d’atteindre 20 TWh supplémentaires via ces nouvelles installations à horizon 2030. « Contrairement aux tarifs réglementés, les CPB offrent peu de visibilité. Ce sont des contrats établis sur trois ans, ce qui est trop peu pour amortir une installation. L’absence d’indexation du tarif est également un problème. La filière souhaite une approche plus attractive », analyse-t-il.

Pour leur développement, ces nouveaux types de projets pourront néanmoins s’appuyer sur les mécanismes mis en œuvre depuis 2024 qui imposent aux fournisseurs de gaz d’intégrer une part de biogaz dans leurs achats. « Ce ne sera plus l’État, mais le consommateur de gaz qui financera ces projets », relève Christophe Bellet.

Des projets plus grands et moins accessibles

Les projets s’adossant à la vente de certificats de production de biogaz devraient ouvrir la porte à une toute nouvelle catégorie de méthaniseurs. N’ayant pas accès au tarif réglementé fixé par l’État, tout porte à croire qu’ils optimiseront le coût de production du gaz via des tailles d’unité plus importantes. La barre symbolique des 25 MWh, qui représente la limite haute des projets éligibles aux tarifs réglementés, devrait être allégrement franchie par ces nouvelles installations. « Ce seront des projets territoriaux sans doute un peu différents, avec une capacité de production plus importante et ayant recours à un mélange d’effluent d’élevage, de Cive, de déchets de collectivité ou d’agro-industrie », projette Christophe Bellet. L’actionnariat de ces installations devrait lui aussi évoluer vers des développeurs privés n’étant pas issus du monde agricole.

Pour Hugo Kech, les capitaux nécessaires à ce type de projet ne seront pas accessibles aux agriculteurs. « Quel dommage que la valeur ajoutée leur échappe alors qu’ils seront apporteurs de biomasse et épandeurs de digestat sur leurs parcelles », regrette-t-il. Pour autant, il ne nie pas l’intérêt des développeurs de projets dans certaines situations. « Il faut appliquer une hiérarchie », insiste-t-il. Le chargé d’étude propose de prioriser les projets agricoles individuels ou collectifs, puis les projets mixtes avec un actionnariat majoritairement agricole et enfin, lorsque les autres solutions ne sont pas possibles, les projets portés par un développeur externe, mais incluant les agriculteurs dans une dynamique territoriale.

Quid des porteurs de projet ?

La principale difficulté rencontrée par la filière biogaz est aujourd’hui le manque de candidats pour porter des projets. « Nous avons passé la première vague des agriculteurs entrepreneurs à l’initiative des projets de méthanisation. Aujourd’hui nous arrivons sur des profils de suiveurs. Notre rôle est d’aller les chercher dans les zones avec un potentiel de biomasse, à proximité des réseaux pouvant recevoir du biogaz », souligne François Haumont. Un constat que partage Hugo Kech. « Aujourd’hui, il faut sept à huit ans pour mener un projet de méthanisation collective à son terme. Il faut trouver les meneurs qui seront capables de tenir ce rôle », observe-t-il.