Accord de libre-échange UE/Nouvelle-Zélande, les éleveurs français inquiets

L'UE et la Nouvelle-Zélande ont conclu un accord de libre-échange qui pourrait gonfler de plus de 30% leur commerce bilatéral, notamment dans l'agriculture, mais une partie des éleveurs européens craint une concurrence déloyale malgré les assurances de Bruxelles.

Signé le 30 juin 2022 après quatre ans d'âpres négociations, ce traité rapproche deux blocs économiques très inégaux - l'UE compte 450 millions d'habitants, contre seulement 5 millions de Néo-Zélandais. Le texte doit encore être ratifié par les parlements des Vingt-Sept. "C'est un moment historique (...) un accord commercial solide et moderne qui apportera des opportunités majeures à nos entreprises, agriculteurs et consommateurs", avec des "engagements sans précédent" sur l'environnement, a affirmé la présidente de la Commission européenne, Ursula von der Leyen. Présente à ses côtés à Bruxelles pour la signature, la Première ministre néo-zélandaise Jacinda Ardern a salué de "meilleures opportunités pour les petites et grandes entreprises" de son pays, à un moment d'incertitude entre la reprise post-Covid et la guerre en Ukraine.

Le commerce bilatéral de biens entre la Nouvelle-Zélande et l'UE représentait environ 8 milliards d'euros en 2021. L'UE constitue le troisième partenaire commercial des Néo-Zélandais, lesquels exportent vins, fruits et viande vers l'Europe. Le traité pourrait, selon Wellington, augmenter la valeur des exportations néo-zélandaises vers l'UE d'environ 1,8 milliard de dollars néo-zélandais (1,08 milliard d'euros) par an d'ici 2035, en particulier dans l'agriculture : les kiwis néo-zélandais étaient ainsi jusqu'ici frappés de droits de douane prohibitifs de 8%.

Inversement, les exportations de l'UE vers l'archipel du Pacifique, quasi-entièrement exemptes de droits de douane, pourraient augmenter jusqu'à 4,5 milliards d'euros par an, et les investissements européens y gonfler de 80%, via l'accès accru aux secteurs de la finance, des télécommunication ou du transport maritime.

"Contrôle robuste"

Le texte contient un chapitre dédié au "développement durable", inédit dans un accord commercial européen. "L'accord intègre des résultats très ambitieux dans les parties liées à l'Accord de Paris, à l'action climatique, aux droits du travail, aux subventions à la pêche néfastes (pour l'environnement)", a déclaré le ministre néo-zélandais du Commerce Damien O'Connor. Pour son homologue Valdis Dombrovskis, vice-président de la Commission européenne, cet "accord commercial de pointe" est centré sur "des valeurs partagées, avec la durabilité comme principe cardinal".

Pour autant, en France, l'Interbev (interprofessionnelle du bétail et des viandes) et le Cniel (interprofession laitière) s'alarment de "l'arrivée de plusieurs milliers de tonnes de produits laitiers, viandes ovines et bovines depuis l'autre bout du monde, sans exigence de respect de nos normes de production". Ils citent des pesticides interdits dans l'UE mais toujours librement utilisés selon eux en Nouvelle-Zélande.

Bruxelles s'efforce de rassurer : "Tous les aliments importés doivent être conformes aux normes de l'UE, qui s'appliquent à tous les produits vendus dans l'UE", indique la Commission, promettant "un système de contrôle robuste". De même, pour certains produits agricoles "sensibles" (certains produits laitiers, viande bovine et ovine, éthanol...), les importations de Nouvelle-Zélande sans droit de douane "ne seront autorisées qu'en quantités limitées". Enfin, les agriculteurs européens se verront ouvrir plus grand le marché néo-zélandais, avec des barrières douanières supprimées pour la viande porcine, le vin, les biscuits, etc.

"Signaux géopolitiques"

L'organisation patronale européenne BusinessEurope a applaudi "la reprise bienvenue d'un programme commercial ambitieux de l'UE". Alors que la conclusion de traités de libre-échange tous azimuts a longtemps été sa priorité, l'UE avait opté ces dernières années pour une politique commerciale plus défensive, confrontée au virage protectionniste des États-Unis sous l'administration Trump, au manque d'ouverture de la Chine et à la pandémie.

Après la Nouvelle-Zélande, Bruxelles entend désormais finaliser un accord avec le Chili. Des traités déjà conclus avec le Mexique et le Mercosur (Brésil, Argentine, Uruguay, Paraguay) restent eux dans un vide juridique, faute de ratification - qui bloque notamment sur la déforestation massive en Amazonie. Pour l'UE, l'accord avec la Nouvelle-Zélande conforte ses relations avec une démocratie "partageant son engagement" pour le climat et l'État de droit, un "partenaire-clé dans l'Indo-Pacifique" où s'opposent États-Unis et Chine.

Alors que la pandémie a déstructuré les chaînes d'approvisionnement des Européens et que le conflit en Ukraine assombrit la conjoncture, "nous devons diversifier nos marchés (...) avec des partenaires résilients et fiables", a noté M. Dombrovskis, voyant dans l'accord des "signaux géopolitiques importants".