Agrivoltaïsme et élevage font-ils bon ménage ?

Activité encore méconnue il y a quelques années, l’agrivoltaïsme est devenu un grand sujet de débat dans le monde agricole. Si ses décrets d’application se font encore attendre, la loi de mars dernier s’est au moins attachée à donner une définition claire de cette activité et à garantir sa vocation agricole. Source de revenu complémentaire et, semble-t-il, de bien-être animal, l’agrivoltaïsme suscite aujourd’hui de l’espoir chez les éleveurs.

Eleveur de blondes d’aquitaine à Sérigny (86), Eric Menanteau est porteur d’un projet agrivoltaïque sur sa ferme, « sur 8 de mes 70 hectares de prairies, hors zone humide », précise l’éleveur qui est aussi secrétaire adjoint de la chambre d’agriculture de la Vienne. Il ne sera pas lui-même le financeur de l’installation : les quelque 5 millions d’euros (pour 5 MWc) nécessaires à la construction de la centrale seront apportés par la société TSE. Mais il a déjà choisi avec elle les parcelles les plus adaptées, proches de son bâtiment et il reconnaît que ce projet devrait lui apporter « un avantage financier non négligeable ».

Ce n’est cependant pas le seul avantage que l’éleveur attend. Selon lui, les panneaux implantés dans un système de trackers est-ouest, « sans perte de surface agricole », devraient améliorer le bien-être de ses bovins en leur apportant de l’ombre, en particulier durant les étés chauds qui vont se multiplier dans les années à venir. En outre, il estime que ces panneaux devraient l’aider à prolonger la saison de pâturage de ses animaux : sous les panneaux, la croissance de l’herbe serait plus précoce au printemps et prolongée à l’automne.

Un complément de revenu en élevage de ruminants

Les contraintes liées à cette installation de production d’énergie renouvelable, Eric Menanteau les connaît déjà en partie : il possède des panneaux en toiture depuis de nombreuses années et sait qu’il faut mettre en place de mesures de prévention des risques d’incendies. Il sait qu’en outre, il devra clôturer les parcelles d’herbe où seront installés les panneaux « ce qui peut être intéressant face aux attaques de prédateurs », ajoute-t-il.

Cependant, l’une des plus grandes contraintes est celle qu’il est en train de vivre : le long et incertain parcours jusqu’à l’obtention du permis de construire. Dans ce parcours, il est d’ailleurs accompagné par Fanny Gaillard, juriste chargée de mission urbanisme et aménagement des territoires à la chambre d’agriculture de la Vienne. La jeune juriste constate une progression exponentielle du nombre de dossiers de type agrivoltaïque sur le territoire : « J’y passe la majeure partie de mon temps de travail ».

Malgré les incertitudes sur l’acceptation de son projet, Eric Menanteau se dit « convaincu » de son bienfondé. Selon lui, l’agrivoltaïsme pourrait apporter un complément de revenu aux éleveurs de ruminants et même « redynamiser l’élevage » dans un contexte où il recule presque partout en France.

Il y a ovins et… ovins alibis

Si les projets avec des bovins sont encore très peu nombreux, ceux avec des ovins le sont davantage, et commencent à pouvoir livrer quelques retours d’expérience. Mais attention, il y a ovins et ovins : « On associe souvent les ovins au photovoltaïque au sol, car, sur les centrales installées sur des sites non agricoles, des ovins ont été introduits pour entretenir le terrain… Cet écopâturage n’est pas de la production ovine ! », affirme Blandine Thuel, fondatrice associée du cabinet de conseil en agroécologie Acte Agri Plus, et administratrice de France Agrivoltaïsme.

Avec la publication de la loi en mars dernier, et les positionnements clairs de la profession agricole, ces « ovins alibis » ne devraient plus avoir droit de cité dans l’agrivoltaïsme. Sur le vrai agrivoltaïsme, avec une vraie production ovine dessous, quelques références sont désormais disponibles. Lors d’un récent webinaire organisé dans le cadre du programme Inn’ovin, Audrey Désormeaux, de la Fédération nationale ovine, et Julien Fradin, de l’Idele, en ont livré quelques éléments.

Les deux spécialistes ont notamment confirmé l’effet des installations sur la pousse de l’herbe, qui est plus homogène sous les panneaux qu’entre les panneaux (pas ou peu de pic printanier). La production globale d’herbe semble inférieure sous les panneaux sur des prairies très productives, mais il n’y pas de différences sur parcelles peu productives ou en années sèches.

La production d’herbe est plus précoce au printemps et rallongée à l’automne, ce qui peut étendre la période de mise à l’herbe. Sous les panneaux, la diversité des espèces prairiales est réduite (moins de légumineuses), mais les graminées ont globalement moins d’épis, plus de feuilles et donc des valeurs alimentaires plus élevées.

Bien-être accru et performances identiques

Sur le bien-être animal, l’effet des panneaux semble très marqué, avec une fréquentation des panneaux par les animaux dès les premières chaleurs. Cette haute fréquentation peut cependant engendrer des zones de piétinement. Les études ne montrent aucun effet des éventuelles ondes électromagnétiques : les animaux n’évitent pas du tout les onduleurs.

Durant ce webinaire, Christophe Rainon, conseiller spécialisé ovin de la chambre d’agriculture de la Nièvre, a présenté les résultats de trois années d’observation des résultats zootechniques d’une exploitation équipée de panneaux au sol. Deux lots homogènes de 35 brebis, « avec panneaux » et « sans panneaux » ont été constitués : au terme des trois années de suivi, globalement, les performances des animaux « avec panneaux » sont soit meilleures soit équivalentes à celles de l’autre lot.

Nécessité de se faire accompagner

A l’issue de ce webinaire, les conseillers ont insisté sur l’importance de bien réfléchir en amont sur les projets agrivoltaïques : dessiner un plan pour visualiser la disposition des éléments, penser aux passages d’engins, aux interventions sur les animaux, à leur abreuvement, à la possibilité de cloisonner l’espace pour faire du pâturage dynamique… réfléchir à l’impact sur le travail en général, sur la conduite fourragère en particulier, sur les possibilités de resemis de prairie (achat de matériel spécifique).… discuter aussi avec l’opérateur sur la répartition des investissements, des responsabilités, sur la protection des câbles, etc.

Comme il est difficile de penser à tout, et comme les technologies (et la réglementation) ne cessent d’évoluer à toute vitesse, les conseillers de l’Idele et de la FNO suggèrent fortement aux porteurs de projets agrivoltaïques de se faire accompagner, « si possible par des gens qui connaissent l’agriculture », ajoute Blandine Thuel, dont le bureau d’études est très actif dans le domaine. « Nous avons suivi environ 260 dossiers sur le territoire français et il n’y en a pas deux identiques. Certains projets peuvent être pertinents dans certaines régions et ne pas l’être dans d’autres », décrit la spécialiste. Et de plaider pour que les projets agrivoltaïques s’inscrivent de plus en plus dans des dimensions collectives et territoriales, « pour le partage de la valeur et pour faciliter les transmissions ».