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Egalim 4 en suspens : pouvoir d’achat et rémunération des agriculteurs, l’équation impossible ?
[Edito] Près de sept ans après sa première version, et alors qu’une quatrième mouture vient d’être mise en suspens, la loi Egalim peine à produire ses effets sur la rémunération des producteurs. Portée limitée, contrôles insuffisants, cadre strict… Les raisons de cette inefficacité sont multiples.
Après les Etats généraux de l'alimentation en 2017 et les lois Egalim 1 (2018), 2 (2021) et 3 (2023), le chantier de la revalorisation des revenus des agriculteurs patine sérieusement. L’idée d’un Egalim 4 était dans les tuyaux, mais risque fort de ne pas sortir cette année. « On ne pourra pas légiférer avant l’été, il faut se donner du temps compte tenu du calendrier parlementaire », a reconnu la ministre de l’Agriculture Annie Genevard dans un entretien aux « Echos ». Dans les débats à l’Assemblée, les tensions persistent encore et toujours entre défense du pouvoir d’achat et revenu des agriculteurs.
Encore trop peu de contractualisation
Si des avancées ont été obtenues depuis la mise en place de la loi Egalim, les résistances de certains acteurs et les difficultés de mise en œuvre fragilisent les ambitions initiales. Mi-février, un rapport parlementaire a souligné les lacunes d’Egalim et la non-application de nombreuses dispositions, à l'image de la généralisation des contrats écrits entre agriculteurs et acheteurs. En 2023, 60% des manquements constatés concernaient encore l'absence pure et simple de contrat… Autre pierre d'achoppement : la fameuse « sanctuarisation » de la matière première agricole dans les prix, censée mieux la valoriser. Mais cette mesure phare fait l'objet de nombreux contournements. Les industriels se rattrapent en négociant durement sur les autres postes de coûts comme l'énergie ou les emballages. L’idée d’étendre la sanctuarisation des coûts dans la négociation commerciale à la matière première industrielle (énergie, transport, emballages...) a été émise par les députés.
Quant aux objectifs d’Egalim concernant la restauration collective (50% de produits de qualité dont 20% de bio), ils sont encore loin d’être atteints : en 2024, les taux d’approvisionnement étaient respectivement de 25% pour les produits de qualité et de 12% pour les produits bio.
Des négociations qui virent chaque année au conflit
L’application pleine et entière de la loi Egalim reste donc un défi pour améliorer le revenu des agriculteurs et pour apaiser les relations entre producteurs, industriels et distributeurs, qui virent chaque année au conflit. A ce sujet, un rapport du Conseil général de l’alimentation, de l’agriculture et des espaces ruraux (CGAAER) a comparé les relations commerciales entre fournisseurs et distributeurs en Allemagne, Belgique, Espagne et Pays-Bas. Conclusions : aucun de ces pays ne connait des tensions aussi fortes qu’en France, alors que leur réglementation est bien plus libérale. Le rapport cite notamment l’exemple de l’Espagne, qui a fait le choix d'une autorégulation par un code contraignant défini par les professionnels, avec une autorité de régulation dédiée et de la transparence sur les contrôles. Une approche pragmatique qui semble porter ses fruits. Si un « Egalim européen » voit le jour, comme Emmanuel Macron l’appelle de ses vœux, le modèle français ne sera pas forcément plébiscité…
Au fond, en demande-t-on trop aux lois Egalim ? Rappelons qu’elles ne concernent qu’un périmètre restreint de la chaîne alimentaire (principalement les productions animales), et ne s’appliquent ni aux grossistes, ni à la restauration hors domicile, sans parler de l’export.
L'affichage de la rémunération, un effet vertueux ?
Et si le rééquilibrage de la valeur se faisait par les consommateurs eux-mêmes ? C’est l’idée du « rémunérascore », c’est-à-dire l’affichage, sur les produits alimentaires, d'une mention indiquant si le prix payé aux producteurs est jugé « rémunérateur » ou non. Plusieurs initiatives ont été lancées au cours des dernières années, à l’image d’« Agri-Ethique », « C’est qui le patron ?! », « Faire France »… Certaines enseignes de grande distribution ont aussi développé des marques ou labels associés à des allégations relatives à la rémunération des producteurs (« Auchan : Solidaires pour soutenir nos producteurs ») mais sans être précis sur les prix d’achat aux agriculteurs. L'expérimentation du rémunérascore, qui doit démarrer cet été, vise à définir un cadre harmonisé et généralisable d'affichage de la rémunération, à l’image du Nutri-score. Celui-ci a montré son influence sur les comportements d'achat et sa capacité à pousser les industriels à retravailler leurs recettes. Un effet d'entraînement vertueux qu'il serait bienvenu de voir s’appliquer à la rémunération des agriculteurs.