Elevages et installations électriques : l’enquête qui peut faire bouger les lignes

Etayé par une enquête inédite réalisée auprès d’éleveurs, un rapport du CGAAER formule plusieurs recommandations de nature à renforcer la connaissance sur les impacts des antennes relais, installations électriques et autres éoliennes sur les activités d’élevage. Parmi les voies de recherche figure la géobiologie, à ne « pas rejeter systématiquement », bien que décriée par bon nombre d’organisations scientifiques.

Entre le 26 juin et le 31 août 2023, le ministère de l’Agriculture sollicitait dans une enquête par internet les témoignages d’éleveurs dont les exploitations étaient situées à moins de 2 km d’une antenne téléphonique, d’une ligne à haute tension ou très haute tension, d’un transformateur électrique ou encore de parcs photovoltaïques et éoliens. Objectif : obtenir des données chiffrées mais aussi des commentaires sur les perturbations susceptibles d’être attribuées aux impacts des champs électriques/électromagnétiques et/ou des courants induits sur les animaux.

Une enquête anonyme au départ, beaucoup moins à l’arrivée

Résultats ? Sur 1015 réponses complètes au questionnaire (sur un total de 2483 réponses), 312 font état de « perturbations » relevant du comportement (évitement de certains endroits, agitation, peur) à hauteur de 15% des répondants et de signes cliniques (baisses des performances, problèmes de reproduction, pertes d’appétit, niveau de cellules, problèmes sanitaires) pour 25% des répondants mais également de mortalité (30 animaux, dont 22 vaches) pour 10% des répondants. Consignés partiellement dans un rapport du CGAAER (*), les résultats de l’enquête, qualifiée de « sans précédent » car donnant pour la première fois la parole aux éleveurs, n’éludent pas les biais de l’exercice. Mais les auteurs du rapport soulignent que 304 éleveurs, soit près du tiers des répondants, ont laissé leurs coordonnées précises alors que l’anonymat était proposé, « compte tenu de la sensibilité du sujet et des informations collectées ». 76 autres éleveurs parmi les 181 se déclarant non impactés, ont aussi laissé leurs coordonnées dont certains évoquent de « possibles perturbations » à bas bruit (20 éleveurs) pénalisant l’élevage sans le remettre en question et le recours à des géobiologues (18 éleveurs).

"Les données de l’enquête apportent indéniablement un éclairage qui manquait pour aller plus loin dans les recherches dans ce domaine"

La mission estime ainsi que les résultats de l’enquête (totalisant plus de 900.000 données) mériteraient d’être étudiés plus en profondeur par le groupe de travail inter organismes, mis en place en 2022, réunissant notamment l’INRAE, le BRGM, l’Idele ou encore le Groupe permanent de sécurité électrique (GPSE). « Même si ses données ne peuvent permettre à elles seules de caractériser finement cet impact, elles apportent indéniablement un éclairage qui manquait pour aller plus loin dans les recherches dans ce domaine. A leur lecture, il parait en outre difficile de réfuter tout impact dans certains cas », lit-on dans le rapport

Les autres recommandations de la mission

Au sujet de la géobiologie, vers laquelle se tourne « un grand nombre d’éleveurs », le rapport estime que la recherche devrait explorer les pratiques développées sur le terrain par certains géobiologues pour en identifier les éventuels fondements scientifiques, citant notamment ceux du réseau Prosantel, sollicités par la mission du CGAAER. La mission estime par ailleurs nécessaire de réviser les références actuelles en matière d’exposition des animaux aux ondes, notamment électromagnétiques, et de sensibilité à celles-ci. « Elles sont en effet souvent anciennes quand elles existent et en tout état de cause insuffisantes », ce que devrait combler au moins en partie, d’ici à 2025, deux projets distincts. Le premier, dénommé « Courant électrique et électromagnétiques en élevage bovin, mise au point d’outils pour l’objectivation de l’exposition et l’intervention en élevage » est en cours de développement depuis 2022 avec le financement de la Confédération Nationale de l’Elevage (CNE). Le second est l’œuvre de l’Idele qui mène une enquête sur les pratiques de diagnostic en élevage en vue de construire un cahier des charges pour une mise en œuvre harmonisée de mesure des tensions parasites en élevage.

En finir avec l’immobilisme

« Il y a maintenant plus d’un quart de siècle que le sujet de l’impact sur les activités d’élevage des diverses ondes émises par les équipements électriques puis de communication font l’objet de débats et rapports. Malgré cela, rien ne semble évident ni évoluer », conclut la mission, qui appelle à « développer le partage des connaissances en la matière » et à doter les chercheurs de moyens financiers. « Alors que des dizaines de millions d’euros sont clairement orientés pour évaluer l’impact des équipements sujets de cette étude sur la faune sauvage, les équipes qui travaillent sur les animaux d’élevage peinent à financer leurs recherches ».

Le rapport du CGAAER rappelle que la consommation d’électricité en France pourrait atteindre 580 à 640 TWh par an d’ici 2035, contre 460 TWh en 20224, augmentant potentiellement les perturbations éventuellement liées à cette énergie. 70% des 100.000 km de lignes haute tension (plus de 63.000 volts) exploitées par RTE passent en milieu rural. 1.300.000 km de lignes de moindres puissances irriguent le territoire de la métropole et Enedis exploite 760.000 transformateurs électriques. 9500 éoliennes étaient implantées dans 2262 parcs en 2022 en France tandis que 800 projets d’éolien terrestres, pour un total de 11 GW, étaient en attente d’autorisation. Au 1er octobre 2023, l’agence nationale des fréquences radio (ANFR) autorise 65.679 sites de réseaux mobiles en France, toutes générations confondues et on dénombre un peu plus de 123.000 antennes de différents types, avec des catégories de fréquences qui s’étendent de 1,3 à 86 GHz selon les usages.

(*) Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux)