Enfin une évaluation européenne de l’impact du pacte vert sur l’agriculture ?

Au cœur de l’été est discrètement paru un rapport du Centre commun de recherche de la Commission européenne modélisant les effets des stratégies Farm to Fork et Biodiversité de la PAC sur le secteur agricole européen. Les résultats n’ont pas manqué de faire réagir, notamment les organisations professionnelles agricoles.

La Commission européenne a publié en mai 2020 sa double stratégie Farm to Fork et Biodiversité. Parmi les critiques récurrentes adressées à la Commission jaillissait celle de l’absence d’étude d’impact, qui est pourtant indispensable dans le processus de prise de décision politique. L’ambition de mieux analyser l’impact ex ante des politiques publiques avait d’ailleurs été portée au niveau européen, via l’initiative « Mieux légiférer » et le programme REFIT pour une réglementation « affûtée et performante » (rien que ça !). Ironiquement, c’est des Etats-Unis qu’est venue la première analyse des impacts du Pacte vert (Green Deal) sur l’agriculture européenne et mondiale, l’USDA publiant une étude dès la fin de l’année 2020.

 « Ceci n’est pas une étude d’impact »

C’est indiqué d’emblée, et répété à maintes reprises par les auteurs, ce rapport ne constitue pas une étude d’impact des stratégies Farm to Fork et Biodiversité, ou des propositions législatives pour la PAC 2023-2027. Nous voilà prévenus. L’objectif de l’exercice mené par le Centre commun de recherche est de faire tourner le modèle CAPRI, modèle agro-économique créé dans les années 1990 par la Commission européenne pour évaluer les réformes de la PAC, et de mettre en exergue ses limites.

CAPRI intègre la réforme de la PAC en tenant compte de la nouvelle architecture verte, des minimas de 25% du budget paiements directs sur les éco-schémas, 30% sur les MAEC. Seule une partie des objectifs du Pacte vert fait l’objet du rapport : 25% de surfaces agricoles en bio, 10% de surfaces constituées d’éléments de paysage à haute diversité, réduction des émissions de GES, diminution de 50% de l’usage des pesticides et 20% des engrais. Sur ce dernier point, le modèle a traduit l’objectif de -50% de pesticides par une baisse de -50% des coûts de pesticides. Une limite du modèle CAPRI, qui ne peut considérer le volet pesticide que sous l’angle des coûts liés, et non par les quantités utilisées (par exemple, via l’indicateur de risque harmonisé HRI 1, qui correspond aux quantités achetées pondérées par leur classification).

Le rapport souligne que d’autres études ont plutôt mesuré des écarts de l’ordre de -20%, mais aussi que les exploitations aujourd’hui en bio sont davantage situées dans des zones à moindre potentiel de rendement, ce qui pourrait expliquer les écarts observés dans le RICA. De façon plus générale, modèle ne prend pas en compte les changements de pratiques qui pourraient être mis en œuvre par ailleurs par les agriculteurs pour s’adapter à une moindre utilisation d’intrants.

Résultats du modèle

Les résultats des scénarii sont donc à considérer avec prudence, et permettent davantage de donner une tendance que des résultats chiffrés. Les auteurs s’entourent de multiples précautions pour présenter leurs résultats.

Une fois cela énoncé, que peut-on retenir de ce travail ?

Tout d’abord, une baisse de la production, plus ou moins marquée selon les filières et les scénarios (avec ou sans réforme de la PAC, avec ou sans plan de relance européen) : de l’ordre de 12% en grandes cultures, 7% en fruits et légumes, 15% en viande bovine, viande porcine et volailles, 12% en lait.

Malgré cette inflation, et une baisse des coûts de production liée à la diminution des intrants, les revenus des agriculteurs n’en sortiraient pas nécessairement améliorés. En céréales, le recul des rendements serait trop important et viendrait endommager les résultats des exploitations. A l’inverse, dans les secteurs de la viande, le modèle prévoit que la baisse de la production, associée à une demande rigide (hypothèse forte, la demande pouvant diminuer face à des hausses de prix importantes) et à une hausse modérée des importations de pays tiers (les auteurs reconnaissent que le modèle est en ce point très éloigné de la réalité), entraînerait de forte hausse des prix à la production et par ricochet une amélioration des revenus. En rendant la demande davantage élastique, les prix augmenteraient dans une moindre mesure (+33% en porc).

Les exportations européennes diminueraient et des importations de pays tiers viendraient se substituer aux productions européennes. Le déficit commercial de l’UE s’aggraverait ainsi en oléagineux, en fruits et légumes et en viande bovine, caprine et ovine. Les quelque 29% de réduction d’émissions de gaz à effet de serre atteints par le secteur agricole européen seraient ainsi contrebalancés par une hausse des importations. Ce qui pose la question de la contribution de l’UE au dérèglement climatique par le truchement de ces volumes importés, sur laquelle la Commission européenne entend se pencher. La quadrature du cercle en quelque sorte.

 La Commission européenne naviguerait-elle à vue ?

Les résultats cités sont soumis à de nombreuses incertitudes, inhérentes à la modélisation, ce travail permet toutefois de mesurer, une nouvelle fois, l’ampleur des changements auxquels les agriculteurs doivent faire face dans les années à venir. L’une des limites, citée dans le rapport : la difficulté à mesurer les adaptations aux crises des marchés via la restructuration. Or, c’est là un point décisif, puisqu’il est question de savoir si oui ou non des mesures peuvent entraîner une éviction d’acteurs économiques – agriculteurs compris. Certains d’entre eux pourraient rencontrer d’importantes difficultés, et au vu de ce rapport, puisque les soutiens de la PAC ne suffiront pas à amortir les chocs prévus. D’où l’importance de travailler à des mesures d’accompagnement des transitions à l’échelon de la production, mais aussi de mesures d’accompagnement de la demande et de régulation des marchés pour limiter les risques de flambée des prix et de hausse des importations identifiés dans le rapport. Dernière illustration en date : le plan d’action européen pour l’agriculture biologique, lié aux objectifs du Pacte vert, est en cours d’approbation dans les instances européennes. Au même moment, commencent à poindre les contours d’une crise sur les marchés de produits biologiques en France, dont le lait est un exemple marquant, avec des prix en baisse sur les premiers mois de 2021. A ce jour, la Commission européenne n’a fourni aucun élément d’analyse de la capacité du marché à absorber les quantités supplémentaires de produits certifiés bio prévues dans le Pacte vert. La stratégie ne propose d’ailleurs pas de mesure d’accompagnement de la demande en aval. Au risque d’emmener les agriculteurs dans le mur. Débouchés économiques, quand vous nous tenez !!

Marine RAFFRAY APCA