Equarrissage, crises sanitaires et canicules : attention danger

Un rapport du CGAAER pointe un risque d’« embolie » des services d’équarrissage en cas de crise et invite l’Etat et les parties prenantes à définir une stratégie partagée de gestion des mortalités en élevage et de l’équarrissage, de nature à anticiper les crises, en explorant plusieurs solutions alternatives.

Imaginons une situation de crise, totalement fictive, générée par une épidémie de peste porcine africaine (PPA) en Bretagne, où la détection d’un foyer dans un périmètre de 10 km contenant 150 élevages de 200 truies conduirait à devoir traiter jusqu’à 400 t/jour d’animaux : il n’en faudrait pas plus pour toucher aux limites des capacités d’équarrissage du territoire métropolitain. C’est l’alerte lancée par une mission du Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation, de l’environnement et des espaces ruraux (CGAAER) et consacrée au service public de l’équarrissage, publiée l’an passé.

En réalité, ce scénario purement fictif a déjà été rattrapé par la réalité par deux fois en 2022, avec le pic épidémique d’Influenza aviaire hautement pathogène (IAHP) au printemps générant jusqu’à 1400 t/jour de cadavres de volaille, puis les effets de la canicule estivale en Bretagne générant jusqu’à 1500 t/jour de cadavres de volailles là aussi. « Si l’efficience du dispositif peut être qualifiée de bonne en temps de paix, les situations de crise induisent assez rapidement une embolie du système qui affecte aussi bien le service privé que le service public de l’équarrissage, tant ils sont imbriqués », lit-on dans le rapport.

Service public et privé

Depuis la réforme de 2009, l’équarrissage des cadavres d’animaux d’élevage est géré́ sur un mode privé par les filières à travers des associations dites ATM (pour animaux trouvés morts) et public via le Service public de l’équarrissage (SPE). Celui-ci concerne les cadavres d’animaux morts en fourrières, refuges, parcs zoologiques, animaux sauvages morts collectés en bord de route, animaux victimes d’inondation, oiseaux sauvages morts de la grippe aviaire, cétacés échoués, pour un total de 4582 tonnes, anecdotique comparativement aux volumes des ATM. En 2021, le service privé de l‘équarrissage a en effet concerné 3,07 millions de tonnes de SPAN (sous-produits animaux), dont 70% relevant de la catégorie C3 (sous-produits d’abattoirs, sous-produits du secteur agroalimentaire, denrées alimentaires déclassées, matières laitières, sang, placenta, cuirs, peaux, phanères, sous-produits des filières œufs, mollusques et crustacés, déchets de cuisine et de table...), 30% des catégories C1 et C2 (cadavres d’animaux d’élevage, Matériels à risques spécifiés (MRS) des abattoirs et ateliers de découpe, sous-produits animaux des boucheries...).

Concentration du secteur

Selon le rapport du CGAAER, « l’extrême concentration » du secteur explique pour partie les risques d’embolie en cas de crise. Le service SPE et les marchés ATM sont assurés par quatre entreprises, dont deux « grosses » (Secanim et Atemax) et deux « petites » (Provalt et Sopa, Secanim étant par ailleurs actionnaire à 50% de cette dernière). Elles étaient encore six en 2013. Quant aux usines d’équarrissage, leur nombre est passé en métropole de onze à huit3entre 2015 et 2019 avec la fermeture de trois usines du groupe Saria- Secanim, sans augmentation de la capacité des usines restantes. « Il en résulte une baisse de la capacité nationale de traitement et un allongement significatif des distances et temps de collecte sur certains territoires, notamment en région Sud où la densité d’élevages est particulièrement faible ». La mission du CGAAER s’inquiète par ailleurs de « la question de la fermeture de l’usine Sopa de Cros-de-Montvert (Cantal), évoquée devant elle par un de ses principaux actionnaires (...) Elle doit être analysée avec soin au regard de la couverture territoriale actuelle et des risques de poursuite du mouvement de concentration ».

Des ATM et filières insuffisamment impliquées dans la gestion de crise

Le rapport pointe également la responsabilité des associations ATM, au nombre de huit (porc, ruminants volaille de chair, ponte, palmipèdes gras, lapin, équins et gibiers), dont trois (ruminants, porc et volailles de chair) fournissent aux équarrisseurs 95% des tonnages. « Les ATM, ou tout au moins certaines d’entre elles, ont une approche purement comptable de leur mission et ne s’investissent pas réellement dans la gestion de l’équarrissage, alors qu’elles étaient censées se substituer à l’État au terme de la réforme de 2009, relève la mission. Elles ne se sentent en tout état de cause pas concernées par la gestion de crise » . Selon la DGAL, citée dans le rapport, en situation de canicule, lorsque les ATM décident de ne plus prendre en charge les animaux morts, les équarrisseurs se retournent vers l’EEtat. En définitive, les ATM sont des acteurs peu visibles et peu connus, notamment des éleveurs auprès desquels elles ne communiquent pas. Selon un Directeur départemental en charge de la protection des populations (DDPP), nombreux sont les éleveurs qui pensent que la collecte de leurs animaux morts relève toujours du SPE. « Les ATM, on ne les voit jamais et on ne sait même pas comment les contacter. Pour les éleveurs on est toujours au temps du SPE et quand il y a un problème, ils appellent la DDPP et on ne sait pas vers qui les orienter. La plupart ne savent même pas qu’ils paient une cotisation pour l’équarrissage ».

« La mutualisation, l’énorme force du système »

Au plan financier justement, le CGAAER pointe « un incontestable effet bénéfique de la mutualisation » et qui fait que le prix payé par l’éleveur au sein d’une filière est le même sur tout le territoire tout en faisant office d’amortisseur entre filières. Selon l’ATM coordinatrice, la mutualisation, « c’est l’énorme force du système ». Le CGAAER reconnaît que l’équarissage, privatisé depuis 2009, est une activité « qui semble économiquement maîtrisée, tout du moins en temps de paix », même si « la situation de quasi-monopole qui prévaut ne parait guère favorable à une baisse des coûts ».

Le rapport pointe également une faute originelle : le transfert au secteur privé d’une mission de service public ne s’est accompagné d’aucune délégation formalisée à laquelle il serait possible de se référer pour vérifier qu’elle est bien réalisée conformément à des exigences spécifiées de qualité de service.

Les recommandations du CGAAER

C’est du reste la première des recommandations du rapport, la deuxième portant sur la nécessité de disposer de données partagées, fiables et accessibles, notamment pour éclairer le volet économique. La mission recommande d’élaborer, sous pilotage de l’Etat et en mobilisant l’ensemble des acteurs, une stratégie partagée sur la gestion des mortalités en élevage et l’équarrissage. Mentionnant des cas rapportés d’intégrateurs de la filière volaille ayant refusé d’accorder à leurs éleveurs l’autorisation de dé-densifier en anticipation de la canicule de l’été 2022, la mission souligne que la meilleure manière d’éviter la saturation des outils de collecte et de traitement, c’est de réduire les mortalités. « Cela est d’autant plus important que l’impact d’une accumulation de cadavres est potentiellement désastreux en termes d’image ».

La mission réclame un diagnostic du parc industriel de collecte et de traitement afin d’évaluer précisément sa capacité et les marges disponibles en temps de crise. Pour anticiper les crises, elle prône la mise en œuvre de délestages (national ou zonal, inter-entreprises) et de solutions alternatives (maturation aérobie et entreposage de cadavres de porcs, compostage de cadavres de porcs et de volailles, enfouissement, stockage temporaire...). En guise de réflexion complémentaire, la mission s’interroge sur l’opportunité de développer offre assurantielle couvrant les frais liés à la collecte et à l’élimination des cadavres d’animaux morts en élevage, à l’image de ce qui existe en Espagne ou encore en Italie.