« Face au loup, la protection des brebis prime sur la gestion technico-économique du troupeau »

Depuis 2015 et les premières attaques, l’élevage de brebis allaitantes de la ferme du lycée agricole de Carmejane (Alpes de Haute-Provence) est fortement impacté par le coût des mesures de protection, la moindre valorisation des parcours et la baisse des performances de reproduction. Tout sauf un cas d’espèce.

Un surcoût moyen annuel de 33.779 euros dû à la mise en place de moyen de protection, dont 56% imputable aux charges salariales et 41% lié aux coût des huit chiens de protection, soit un reste à charge annuel moyen de 12.170 euros, une fois déduites les subventions liées à la protection du troupeau : telle est l’incidence économique de l’intrusion du loup sur l’exploitation du lycée agricole de Carmejane (Alpes de Haute-Provence), décrite dans une étude co-réalisée avec l’Institut de l’élevage (UMT Pasto). « La Ferme de Carmejane est représentative d’un cas-type d’exploitation ovine de la région, précise Aurélien Jeanleboeuf, directeur de l'exploitation. En l’occurrence, il s’agit du type préalpin transhumant, reposant sur des parcours valorisés en pâturage, des prairies, des estives de deux à trois mois et un peu de grandes cultures ».

La ferme ovine du lycée de Carmejane n’est pas un cas isolé bien au contraire. « L’étude permet d’objectiver, chiffres à l’appui le ressenti des éleveurs en ce qui concerne l’organisation et la charge de travail ou encore le reste à charge sur les chiens », explique le directeur.

"Entre 2 et 5 ans, le chien commence à protéger mais il ne sera expert qu’après 5 ans. Passé 8 ans, il peut ne plus être capable d'assumer certaines tâches comme l’estive"

Suite aux premières attaques survenues en 2015, la ferme a mis en place un dispositif de protection, combinant plusieurs éléments, dont les chiens, ici de bergers des Abruzzes qui, à eux seuls, donnent une idée des incidences de la prédation. « Les deux premières années sont consacrées à l’apprentissage et le chien n’est pas du tout opérationnel, souligne Aurélien Jeanleboeuf. Entre 2 et 5 ans, le chien commence à protéger mais il ne sera expert qu’après 5 ans. Passé 8 ans, il peut ne plus être capable d'assumer certaines tâches comme l’estive. En conséquence, il faut les renouveler en permanence et en prime, s’adapter à chacun d’eux car les chiens sont des individus et sont tous différents dans leur fonctionnement et dans leur approche des brebis. Il y a des chiens plus adaptés en parcours, d’autres en prairie, d’autres en estive, c’est un pilotage fin et à réajuster en permanence. Le tout prend énormément de temps ».

Une allotement simplifié, préjudiciable à la reproduction

A la Ferme de Carmejane, outre les chiens, des parcs de regroupement nocturne doublement électrifiés (enceinte pour les brebis et anneau pour les chiens) ont été créés pour valoriser les parcours boisés (500ha) et les prairies éloignées, assortis d’un gardiennage de jour et d’une surveillance renforcée des prairies pâturées.

Outre ces aménagements, générant des charges supplémentaires, l’intrusion du loup a eu aussi pour effet de modifier la conduite du troupeau. Avant 2015, l’allotement au pâturage, prairies et parcours était réalisé en fonction des besoins physiologiques des brebis, des objectifs de production et des protocoles expérimentaux. De dix lots au pâturage, la ferme est passée à trois ou quatre lots, dont un seul sur parcours. La limitation du nombre de lots au pâturage et la conduite avec regroupement nocturne a impacté le lot de mise bas à l’automne, avec des baisses de fertilité et de prolificité de respectivement 5 et 20 points, induisant une baisse des produits, que l’étude n’a pas comptabilisée. Les changements de conduite sur le lot de mise bas de printemps n’ont, en revanche, pas affecté le poids à la naissance et le taux de mortalité avant cinq jours.

"Au-delà de ces éléments chiffrables, il faut ajouter la charge mentale, qui ne sera jamais chiffrable mais qui est omniprésente "

Une ressource pastorale moins valorisée

La mise en place des mesures de protection a par ailleurs pénalisé la valorisation des parcours. Afin d’éviter les interactions avec les chiens des chasseurs, potentiellement sources de conflit, les parcours ont cessé d’être pâturés à l’automne. Toutes saisons confondues, le nombre de journées de pâturage a ainsi baissé de plus de moitié (-53%) entre l’avant et l’après-2015. « Au-delà de ces éléments chiffrables, il faut ajouter la charge mentale, qui ne sera jamais chiffrable mais qui est omniprésente », pointe Aurélien Jeanleboeuf.

L’adaptation de la Ferme à la prédation a nécessité trois années de transition, nécessaires au diagnostic de vulnérabilité, à l’acquisition des chiens, à l’adaptation de la conduite du troupeau, aux tests de différentes solutions de protection. Ces dernières s’avèrent-elles efficaces ? « Le dernier constat d’attaque date de fin 2021 mais je ne serais pas capable de dire si on le doit à la protection ou à une moindre pression de prédation », déclare le directeur. Une chose est sûre : les futurs éleveurs et bergers passés sur les bancs, parcours et estives de la Ferme de Carmejane seront des éleveurs et des bergers avertis.