Hectar : l'école qui redéfinit l'agriculture grâce à l'IA et au travail collaboratif

À la fois ferme et campus, Hectar se positionne comme un véritable laboratoire pour l'agriculture du futur. Au-delà de l'exploration de la régénération des sols, de la décarbonation, de l'intégration de technologies et de l'analyse de données, Hectar repense les méthodes de travail pour un recentrage sur l'humain et une agriculture plus efficace.

Difficile d’imaginer qu’à quelques centaines de mètres d’une zone commerciale dans les Yvelines, se dresse le plus grand campus d’agriculture du monde. A la sortie de Lévis-Saint-Nom, le bitume et la circulation en accordéon cèdent la place à un écrin de verdure où se dresse une ferme d’un genre nouveau : Hectar. Ce lieu unique de 610 hectares n'est pas seulement une exploitation agricole mais aussi un centre de formation, de conception et d'expérimentation d'outils numériques destinés à faciliter le quotidien des agriculteurs. Start-ups et entreprises y explorent les enjeux et les solutions de l'agriculture moderne. "Nous testons et mettons en application sur place l'innovation, un modèle organisationnel et des solutions techniques pensées ici même", explique Francis Nappez, codirecteur du lieu.

Production, innovation et attractivité du métier agricole

Les consultants, formateurs et étudiants présents sur le campus côtoient les salariés de la ferme qui gèrent la production de céréales, l’apiculture, l’élevage de vaches allaitantes et laitières, ainsi que la transformation du lait en yaourt sur place, dans le respect d’une agriculture de conservation des sols et biologique. Ces activités agricoles servent également de terrain d’expérimentation, en particulier sur l’organisation du travail. Les salariés sont ainsi formés à toutes les tâches de la ferme et peuvent retrouver les informations sur des fiches techniques mises à leur disposition, favorisant un roulement efficace et libérant du temps libre. “L’employé sera ainsi autant compétent pour assurer la traite que pour collecter le miel, par exemple. Nous nous assurons qu’il ait une vraie autonomie. Si quelqu’un prend des vacances, nous n’avons plus besoin de déranger la personne référente”, explique Audrey Bourolleau, cofondatrice d’Hectar.

Toute l’organisation du travail a donc été repensée grâce à la méthode du “Lean Management”, couramment appliquée en entreprise pour “organiser plus de transversalité, plus d’engagement et de responsabilité sur les différents ateliers que l’on mène”, conclut Francis Nappez. Dans leur "salle sociale", les pans des murs sont recouverts de tableaux divisés en colonnes pour chaque secteur d’activité. “Nous voyons ici ce qui a été fait, indique Francis Nappez, nous savons ce que nous devons faire pour la journée. En somme, nous schématisons et organisons par des données claires et visuelles, tout ce qui se passe dans la tête d’un agriculteur." Le but étant de mieux communiquer, de mieux optimiser pour diminuer la charge de travail. Pour la cofondatrice d’Hectar, de meilleures conditions de travail et un équilibre vie personnelle/vie professionnelle sont capitaux pour attirer de nouveaux talents vers l’agriculture : "on aura 160 000 fermes à reprendre dans les 5 ans en France". Pour l’entrepreneuse française, le recrutement passe par de meilleures conditions de travail. Chez Hectar, c’est un argument de choix : parmi les personnes formées, “70 % faisaient figure de nouveaux entrants dans le monde agricole”.

Louise Delaroa
Francis Nappez, codirecteur montre les différentes tâches à faire pour la journée

L’intelligence artificielle au service des agriculteurs : un outil façonné par le terrain

Conscients du faible taux d’utilisation des outils numériques dans les opérations agricoles quotidiennes, Audrey Bourolleau, Francis Nappez et leurs équipes développent des solutions plus adaptées au quotidien des agriculteurs. “Peu d’outils ont été pensés à partir du terrain, explique la cofondatrice, ils deviennent compliqués à utiliser et sont inadéquats. Certaines applications ont été construites pour la gestion de fermes, qui permettent un pilotage très poussé. Mais en réalité, les observations sur le terrain nécessitent d’être faites à fréquence régulière avec une remontée homogène de données”. 

Ici, le travail d’Hectar permet à toute personne effectuant des observations, même le week-end, de remonter des données homogènes. “Synthétisées, elles permettent de prendre des décisions en fonction des contraintes liées à son exploitation”, ajoute Francis Nappez. Déjà utilisée par les salariés du campus, l’application permet de “normaliser la façon dont nous faisons individuellement les observations en direct et de standardiser la collecte de données”. Elle facilite également la gestion des stocks. "À chaque fois que quelqu'un prend du foin, il le signale dans l’application. Je sais en temps réel ce qu’il me reste en stock de fourrage sans que nous ayons besoin de nous appeler. Et surtout, ça permet d’éviter les erreurs de gestion”.

“Dédiabolisons l’IA”

Pour Audrey Bourolleau, il est essentiel de “dédiaboliser l’IA” et de l’intégrer intelligemment dans l’agriculture : “En partant du terrain et des besoins des agriculteurs, nous pouvons développer des outils numériques pour automatiser certaines tâches répétitives”. Elle insiste sur le fait que l’observation et l’humain ne seront pas substitués. Au contraire, “la technologie éduquée à la réalité du terrain permet aux agriculteurs d’améliorer leurs performances opérationnelles tout en restant ancrés dans leurs réalités quotidiennes”.

Louise Delaroa
Audrey Bourolleau, cofondatrice d'Hectar

A titre d’exemple, elle dévoile un de leurs projets en cours de développement : une application basée sur l’oralité pour saisir et retrouver rapidement de la donnée. Assise devant son ordinateur, elle lance les derniers vocaux de la vétérinaire. “Au niveau du pied, je voudrais qu’on vérifie qu’il n’y ait pas un petit caillou qui se soit coincé dans l'espace interdigital”. Audrey Bourolleau arrête l’enregistrement. “Nous sommes dans un désert vétérinaire ici. Nous avons une vétérinaire qui vient en préventif faire l’état du troupeau toutes les semaines. Grâce à l’audio, elle n’a plus besoin de rédiger ses observations par mail. Tout s’enregistre sur l’application. Et elle nous a fait en tant que vétérinaire tous nos protocoles de soins de première intention pour éviter de la faire venir quand ce n’est pas urgent”. Toutes les ordonnances et procédures sont stockées sur l’application “un doctissimo agricole”, plaisante Francis Nappez. 

Un gain de temps considérable

L’IA pour la transcription d’observations et de protocoles, est déjà couramment utilisée en médecine pour gagner du temps à retranscrire les prises de note et les classer. Au départ, les équipes d’Hectar avaient pensé cette application pour fournir aux agriculteurs un pré-remplissage de leur déclaration de PAC. “Mais les points qui nous ont été remontés n’ont été que des sujets d’opération du quotidien, rapporte Francis Nappez. Finalement l’outil développé n’est pas destiné qu’à assembler des protocoles de soin, mais est pensé pour tous les besoins. A partir d’une commande vocale, je m’envoie mes observations qui sont retranscrites et classées dans l’application". 

Bien plus qu'un simple lieu de production, Hectar accorde une importance particulière à l'accueil et à la formation. L'approche est centrée sur l'humain, avec une attention particulière portée à la transmission des savoirs. Le mentorat y joue un rôle clé : "Ces échanges entre un agriculteur expérimenté et un jeune talent sont essentiels pour la réussite des projets, qu'il s'agisse de partager des succès ou d'analyser des échecs", souligne Audrey Bourolleau. Hectar se veut un lieu d'échange, où les méthodes innovantes et les enjeux actuels sont abordés. L'objectif est de capitaliser sur l'expérience des agriculteurs, notamment en utilisant l'IA pour rendre ce savoir accessible aux nouvelles générations. Une manière de rendre l'agriculture plus attractive et de faciliter l'installation des jeunes.