L'aurochs-reconstitué : animal du passé ou de l'avenir ?

En France et en Europe, quelques éleveurs font le pari d'élever un bovin original : l'aurochs-reconstitué, un animal dont le phénotype se rapproche de celui de l'aurochs, espèce éteinte depuis quatre siècles. La race se révèle ultra-rustique, adaptée au plein air intégral, valorisable en vente directe de viande ou en écopâturage. Sans compter des qualités plus subjectives, comme sa beauté ou sa dimension quasi mythique.

Une robe fauve charbonnée, de longues cornes en lyre dirigées vers l'avant, un corps puissant : cette silhouette bovine semble familière, et pourtant, on ne la croise pas souvent dans la campagne française. C'est en effet celle de l'aurochs, dont les représentations sur les murs des grottes Chauvet ou de Lascaux, témoignent de la fascination des hommes préhistoriques pour ce grand ongulé sauvage, qui ne constituait pas un gibier facile.

Cette fascination pour l'aurochs n'a pas vraiment disparu, même si l'espèce est éteinte. Cette disparition est d'ailleurs très récente à l'échelle des temps biologiques : c'est au XVIIe siècle que les derniers individus sauvages ont été abattus en Pologne, alors même que les descendants des aurochs, les bovins domestiques, étaient élevés un peu partout sur la planète depuis au moins dix millénaires.

L'Aurochs - Grotte de Lascaux (© N. Aujoulat /CNP/ MC)

Une utopie pas très scientifique

« Retrouver l'aurochs disparu » a constitué une sorte d'utopie pour deux zoologistes allemands, les frères Heck, au début du XXe siècle. Leur travail s'est basé sur l'hypothèse que les gènes d'aurochs étaient encore présents chez les races bovines actuelles. Ils ont donc cherché, par rétrosélection, à s'en rapprocher le plus possible, en utilisant des individus de diverses races rustiques comme la corse, la camargue, la grise des steppes de Hongrie, la race de combat espagnol...

En quelques générations, une race nouvelle de bovins fait son apparition en Allemagne, et essaime dans quelques pays d'Europe : les premiers individus arrivent en France en 1979, à La Bergerie nationale de Rambouillet. Mais la réalité scientifique (puis génétique) rattrape l'animal : il n'est pas l'aurochs des origines, il se contente d'en avoir un phénotype proche, même si les croisements n'ont jamais abouti à un animal aussi grand que l'était l'aurochs (autour de 1,60 m au garrot contre au moins 1,80 pour les « vrais » aurochs).

Des qualités très spécifiques

Connu d'abord sous le nom d'aurochs de Heck, puis désormais d'aurochs-reconstitué, doté par l'administration française en 2000 d'un code race (30), l'animal continue néanmoins de susciter l'intérêt. Son « allure préhistorique » y est sûrement pour quelque chose, mais l'aurochs-reconstitué a aussi, en lui-même, des qualités intéressantes.

Vétérinaire rural dans le Nord, Quentin Blond fait partie de ceux qui se sont piqués de ce bovidé : « J'ai fait ma thèse sur l'aurochs-reconstitué ». Aujourd'hui président du Sierda (Syndicat International pour l’Élevage, la Reconnaissance et le Développement de l'Aurochs-reconstitué), il y a succédé à un autre docteur vétérinaire, Claude Guintard. Ce dernier, professeur à l'école vétérinaire de Nantes, a consacré des dizaines de publications scientifiques et d'ouvrages à l'aurochs-reconstitué. Il reste le président honoraire du syndicat.

C'est notamment grâce à son engagement que les effectifs des aurochs-reconstitués en France ont progressivement augmenté, même si la race reste à très petit effectif : « Nous n'avons peut-être pas recensé tous les détenteurs, mais il y a environ un millier d'individus en France », décrit Quentin Blond. « Parmi la vingtaine de détenteurs d'aurochs-reconstitués, on distingue trois catégories : les éleveurs, qui valorisent l'animal pour sa viande en vente directe ; les parcs animaliers, comme ceux de Chizé (79) ou de Sainte-Croix (57) et les collectivités locales, qui détiennent des aurochs-reconstitués pour les présenter au public et faire de la gestion des sites naturels ; et, enfin, les particuliers, dont l'élevage n'est pas le métier, mais qui utilisent l'aurochs-reconstitué pour entretenir des espaces, en ayant à cœur de faire perdurer la race ».

Qu'ils soient élevés pour la viande ou pour l'entretien d'espaces naturels, les aurochs-reconstitués sont la plupart du temps dehors toute l'année. Ici, sur les bords de Sèvre, à Rezé.

Une viande un peu sauvage

Quentin Blond lui-même, en plus de son métier de vétérinaire rural, fait partie de la première catégorie : il possède un petit troupeau d'aurochs-reconstitués, dont il vend la viande en direct. Une poignée d'élevages de ce type existe en France, soit en double activité comme Quentin Blond, soit dans des élevages où cohabitent plusieurs races locales, comme dans la ferme L'Aurochs-vert, en Charente, qui a des aurochs-reconstitués, des limousines et des porcs gascons.

Une étude de Claude Guintard sur la viande de l'aurochs-reconstitué a montré que celle-ci était l'une des moins grasses parmi les viandes bovines : elle se rapprocherait de celle de la highland ou du bison. Pour Quentin Blond, cette viande est aussi « plus forte en goût ». En outre, les animaux présentent des avants assez développés, et des petites carcasses, avec de petits rendements de viande. « Ce sont des bêtes à croissance lente, qui n'atteignent leur taille définitive qu'à 5 à 6 ans ».

Toutes ces caractéristiques font que la viande de l'aurochs-reconstitué se prête assez peu à la consommation sous forme de steaks : « Ou alors, il faudrait la consommer très saignante, presque crue ». Les éleveurs la commercialisent plutôt sous forme de viande séchée et salée, ou de plats préparés. « J'ai trouvé localement des partenaires qui me valorisent bien ce type de viande », explique Quentin Blond.

Des auxiliaires de la biodiversité en zone Natura 2000

La valorisation sous forme de viande n'est a priori pas la destinée de la demi-douzaine d'aurochs-reconstitués qui pâturent sur les bords de la Sèvre nantaise, sur la commune de Rezé, en plein cœur de la métropole nantaise. Le taureau Knau, ses trois femelles et leur suite sont essentiellement employés à l'entretien d'un espace boisé et humide, classé Natura 2000, et à se faire admirer par les promeneurs et cyclistes. Il y a quelques années cependant, une femelle a dû passer à la casserole, car « elle chargeait tout le monde », explique Jean-Luc Queignec, propriétaire et gardien du troupeau rezéen.

L'utilisation des aurochs-reconstitués pour l'entretien d'espaces naturels est pertinente, car la race est d'une extrême rusticité. Là encore, c'est une étude du vétérinaire Claude Guintard qui le démontre. Montagnes, plaines, zones humides ou très sèches (causses) : l'animal semble pouvoir être élevé partout, dehors toute l'année. Certains éleveurs qui peuvent comparer avec les autres races qu'ils élèvent (aubrac, limousine...) estiment que l'aurochs-reconstitué est plus rustique, et qu'il consomme des aliments que les autres refuseraient : foin humide, feuilles sèches, pousses de genêts...

La troupe rezéenne est toutefois plus gâtée que cela : en plus du foin et de l'abreuvement fournis par la municipalité, Jean-Luc Queignec vient presque tous les jours leur apporter des pommes et contribuer à leur socialisation... Il faut dire que l'homme a un long passé de dresseur d'animaux de toutes sortes (rennes, lamas, yacks...) et qu'il a connu une petite renommée dans les années 1990 avec ses chevaux frisons caparaçonnés aux couleurs du FC Nantes.

Désormais en retraite, et vivant en appartement, il a réussi à convaincre la mairie de Rezé d'accueillir ses bovins en écopâturage sur ses terrains humides : une troupe de highlands en 2015, puis quatre aurochs-reconstitués en 2017. Propriétaire des animaux, il en gère l'identification, la santé (la visite vétérinaire annuelle obligatoire, pour laquelle un couloir de contention s'avère indispensable !), mais aussi la reproduction. Les trois jeunes de l'année dernière vont d'ailleurs prochainement partir chez un propriétaire particulier, juste avant que les femelles ne donnent naissance à la nouvelle génération.

Knau, taureau aurochs-reconstitué, représente bien le phénotype de la race : les mâles sont plus foncés et plus grands que les femelles. Son cornage est particulièrement large et puissant, mais pour être « idéal », il devrait pointer davantage vers l'avant.

Un concours sur photos

La population française d'aurochs-reconstitués continue donc de croître lentement mais sûrement. Le Sierda, avec « ses petits moyens », tente de la faire connaître, mais il serait impensable de présenter ces animaux dans des salons ou dans des concours : « Ils sont trop craintifs, trop sauvages ! ». Un premier concours va toutefois apporter prochainement un peu de dynamisme au sein du syndicat, mais il se déroulera sur photos !

Par ailleurs, la branche française prend quelques distances avec le projet initial allemand de « reconstituer l'aurochs », et les tentatives actuelles Outre-Rhin de grandir la race avec de nouveaux croisements : « Pour l'instant, nous préférons rester sur des animaux plus légers, plus adaptés aux terrains humides ou fragiles ».