La déconsommation, nouveau hic pour la filière viticole

[Edito] Alors que la filière est confrontée à des défis agroécologiques et climatiques majeurs, la déconsommation de vin, particulièrement du rouge, ouvre un nouveau front, tandis que se profilent les futures mentions d’étiquetage – valeur énergétique et ingrédients – à l’effet potentiellement repoussoir.

Il fut un temps, au début du XXème, où le Languedoc-Roussillon portait la révolte des vignerons pour cause de mévente. Il fut un autre temps, à la fin du même siècle, où le même Languedoc-Roussillon arrachait à tour de bras pour achever de conjurer la surproduction et/ou l’inadaptation de ses vins au marché. Le 6 décembre prochain, ce sont des vignerons bordelais qui, à l’appel d’un collectif, seront dans la rue pour réclamer une prime d’arrachage de 10.000 €/ha portant sur 10.000 ha, soit environ 10% du vignoble. Un plan à 100 millions d’euros donc.

Il ne faudra pas compter sur l’UE qui bannit depuis longtemps l’arrachage primé au profit d’un droit à la croissance de 1%... réclamé par la profession. « A Bordeaux, la TVA appliquée à la filière viti-vinicole rapporte 400 millions d’euros chaque année depuis des lustres », plaide, en direction de l’Etat, Bernard Farges, viticulteur et vice-président du Conseil interprofessionnel des vins de Bordeaux (CIVB), en marge du salon Vinitech.

-30% de vin rouge consommé en 10 ans

A Bordeaux, la crise couvait à bas bruit depuis quelques années, avec la contraction du marché chinois (second marché à l’export), les surtaxes « Trump » liées au conflit commercial entre Airbus et Boeing (chute des ventes 25% pendant 16 mois) et puis la pandémie de Covid 19, la guerre en Ukraine, l’inflation des coûts pour les entreprises et des prix pour les consommateurs. Des stocks qui gonflent, une spirale déflationniste et mortifère, des trésoreries exsangues, des vignes carrément abandonnées, des futurs retraités qui voient s’envoler leur fermage et leur complément de retraite : la situation est en train de virer au plan social dans la partie la plus désœuvrée du vignoble. Outre l’arrachage, la diversification des produit (rosés, effervescents, vins de France...) et la reconversion (élevage, maraichage, arboriculture, bois...) sont sur la table pour conjurer la surproduction structurelle.

Orientée à 90% sur le rouge, la production bordelaise subit aussi de plein fouet la désaffection des consommateurs français pour cette couleur. « La consommation de vin rouge a baissé de 30% en dix ans, affirme Bernard Farges. La déconsommation n’affecte pas seulement le Bordeaux. Et si les blancs et rosés se maintiennent en apparence, c’est parce qu’ils bénéficient d’un effet de transfert ».

J-365 pour les nouvelles mentions d’étiquetage

Autrement dit : la baisse de consommation de vin n’épargnera aucun couleur et aucun bassin de production. C’est sans doute le prochain choc auquel la filière viti-vinicole française va devoir se préparer, sachant que le marché intérieur représente 60% des débouchés des vins et eaux-de-vie. L’équation pourrait se compliquer avec l’apparition, en décembre 2023, de nouvelles mentions d’étiquetage, à savoir la valeur nutritionnelle et les ingrédients, dont certains à la consonance chimique très marquée, le tout risquant de détourner un peu plus de consommateurs.

Ces mutations interviennent alors que la filière est confrontée à des défis agroécologiques et climatiques majeurs, dont l’acuité ne se dément pas au fil des ans. Toujours à Bordeaux par exemple, la décarbonation de la filière suit son cours avec des résultats certes tangibles, mais majoritairement imputables à la baisse de la production, pour raisons économiques et climatiques, qu’à un renversement de la table. L’arrachage pourrait aussi flatter le bilan carbone...