La Russie et la création d'une bourse aux céréales, une nouvelle menace qui plane

[Edito] L'élaboration d'une plate-forme privilégiée d'échanges de grains entre les membres du BRICS+, initiée par la Russie, a fait l’effet d’une bombe. Pourra-t-elle concurrencer les échanges mondiaux en mettant l’Europe sur la touche ? La campagne 2024-2025 a été particulièrement difficile pour les agriculteurs français mais malgré l’actualité géopolitique, il n’y a pas lieu de s’inquiéter. Voici pourquoi.

Le 22 et 24 octobre dernier, s’est tenu le 16e sommet des BRICS+ à Kazan, en Russie. Cette rencontre a eu lieu dans un contexte géopolitique tendu, marqué par le conflit entre la Russie et l’Ukraine, ainsi que par les enquêtes anti-dumping menées par la Chine contre certains produits canadiens et français. L’objectif principal de ce sommet était de renforcer l’influence de ce “club” afin de rivaliser économiquement et politiquement avec les pays du G7. Mais pour Vladimir Poutine, ce rendez-vous annuel avait surtout pour vocation de montrer aux yeux du monde qu’il n’est pas isolé et que les sanctions internationales n’impactent pas la Russie.

Nouvelle monnaie, nouvelle indépendance

Le Brésil, la Russie, l’Inde, la Chine, l’Afrique du Sud, ainsi que plusieurs nouveaux partenaires (les Emirats arabes unis, l’Egypte, l’Ethiopie et l’Iran), cherchent à s’affranchir de la dépendance à l’égard de la Banque mondiale et du dollar américain - monnaie dominante des échanges mondiaux - soupçonnés d’être trop conciliants avec les pays occidentaux. Leur objectif est de créer leur propre monnaie de réserve pour leurs échanges, remplaçant ainsi les devises locales lors de leurs transactions commerciales.

Ce projet, en gestation depuis 2011, semble avoir pris un nouvel élan lors du 16e sommet des BRICS+. L’idée de cette monnaie commune, peut-être indexée sur l’or, vise à faciliter les échanges entre les pays membres, sans les contraintes imposées par le Fonds Monétaire International. Une nouvelle ère débute, celle de la dédollarisation.

La bourse des céréales, faut-il en avoir peur ?

Concernant l’agriculture mondiale et les impacts probables de cette alliance renforcée des BRICS+, Vladimir Poutine souhaite créer une bourse des céréales qui serait à terme étendue à d’autres produits agricoles. Cette plateforme d’échange alternative des céréales faciliterait les transactions entre les pays BRICS+ et leurs alliés, mais surtout elle pourrait renforcer le poids des pays membres sur le marché mondial. A très long terme, elle voudrait concurrencer les bourses existantes comme le Chicago Board of Trade. Il ne faut pas oublier que les BRICS+ représentent désormais 36% du PIB mondial et cette tendance à la hausse devrait s’accentuer dans les années à venir.

Impact potentiel de la nouvelle plateforme d’échanges des BRICS+ sur les agriculteurs français

Il est encore trop tôt pour évaluer avec précision l’impact que cette bourse des céréales qu’aura sur l'Europe. Cependant, la montée en puissance des BRICS+ pourrait avoir des répercussions significatives sur le marché agricole mondial et donc in fine, sur les revenus des agriculteurs français. De plus, les pays membres comptent parmi eux de gros pays producteurs comme la Russie ou le Brésil. Si ces pays privilégient exclusivement les échanges entre eux, cela pourrait réduire les opportunités d’exportation de produits européens et donc de la France. Par exemple, pour la campagne 2024-2025, la France n'a exporté aucune tonne de blé ou d’orge vers la Chine. Bien que cette dernière ait eu de bonnes récoltes cette année, et dispose de stocks conséquents, elle privilégie les échanges avec son partenaire russe. Enfin, les BRICS+ soutiennent ardemment les pays en développement et voient en eux de futurs partenaires à leur alliance au détriment du G7.

Jouer sur la peur

Dans un avenir (très) hypothétique, le monde pourrait se scinder en deux blocs majeurs : d’un côté, le G7 (peut-être agrandi), dominé par les Etats-Unis, et de l’autre, un bloc du “Sud global” mené par les BRICS+ avec la Chine en maître d’œuvre. Mais la réussite de ce projet, aussi ambitieux soit-il, reste extrêmement compliqué à appliquer. L’harmonisation des droits de douane, des réglementations ou encore des sanctions entre les États membres représente une tâche ardue ! De plus, l’entente des pays du BRICS+ entre eux n’est pas au beau fixe. La Chine et l’Inde se regardent en chiens de faïence. L’élargissement de ce “club” ne s’annonce pas comme un long fleuve tranquille et pourrait compromettre le bon fonctionnement de la bourse aux céréales. Enfin, est-ce que les différents membres accepteront la domination de la Chine, qui représente l'essentiel du PIB ? Quid de la Russie ? Et comment éclipser l’hégémonie du dollar sans répercussion pour les BRICS+ ? Rappelons que les disparités économiques entre les pays membres du bloc constituent aussi un frein conséquent à la mise en place de leur propre monnaie commerciale.

Pour l’instant, nos agriculteurs n’ont pas lieu de s’inquiéter. Si la récolte 2024 a été particulièrement difficile, elle l’a été aussi pour d’autres. L’inflation, les crises et le changement climatique poussent aussi certains pays à la prudence et à ne pas s’engager avec l’un ou l’autre. Toutefois, la montée en puissance des BRICS+ est à surveiller mais il faudra sans doute plusieurs années avant qu’il y ait des répercussions significatives sur les cours. Pour l’instant, les bourses ne se sont pas affolées. Le dollar se porte bien et le revenu de nos agriculteurs ne sera ni impacté aujourd'hui, ni dans les proches années à venir.