« Le volet OCM de la Pac est porteur de garanties de revenus »

Député européen, Eric Andrieu est rapporteur du règlement Organisation commune de marché, l’un des trois volets de la Pac, avec les Programmes stratégiques nationaux et le règlement horizontal. Invité par la Confédération paysanne de l’Aude dans le cadre du "Salon à la ferme" le 27 février, l’eurodéputé a fait le point sur l’avancée des négociations dans le cadre des trilogues. Interview.

Où en sont les négociations entre le Parlement et le Conseil ?

Eric Andrieu : les négociations se poursuivent dans le cadre des trilogues organisés chaque mois, en alternance avec des comités techniques inter-institutionnels destinés à faire converger les textes amandés par le Parlement d’un part et par le Conseil d’autre part. L’objectif est d’achever les négociations avant la fin de la présidence portugaise de l’Union, c’est à dire avant le 30 juin.

Quels sont les éléments d’ores-et-déjà actés dans chacun des trois règlements ?

Eric Andrieu : aucun, en vertu du principe européen suivant : « rien n’est décidé tant que tout n’est pas décidé ». On presse la présidence portugaise de forcer le pas parce que tant que le règlement ne sera pas adopté, les États membres ne pourront pas conclure la rédaction de leur programme stratégique national (PSN), qui chapeaute les aides du 1er et du 2ème pilier.

Vers quelle quote-part s’achemine-t-on, s’agissant des Eco-régimes, le nouveau paiement vert de la Pac 2021-2027 ?

Eric Andrieu : en ce qui me concerne, j’espère que les Eco-régimes ne descendront pas en deçà des 30% du budget alloué au 1er pilier, le Conseil défendant de son côté un taux de 20%. Au regard des enjeux environnementaux et climatiques, ce serait un non-sens. Au-delà du montant, le contenu des Eco-régimes est important. La Commission a proposé ce que j’appelle un concours Lépine des mesurettes agro-environnementales. Alors que, vis-vis de nos compétiteurs internationaux, on aurait besoin d’une politique commune renforcée, les Eco-régimes vont aboutir à un saucissonnage de la réforme entre les 27 États membres, sans matrice européenne.

L’obligation de résultats, en matière d’objectifs environnementaux et climatiques, ne constitue-t-elle pas un garde-fou ?

Eric Andrieu : effectivement, la Commission européenne a conditionné le versement des aides à la réalisation d’objectifs. Pour ne pas risquer d’être sanctionnés, les États membres vont minorer leurs objectifs, ce qui produira l’effet contraire à celui recherché.

Eric Andrieu, entouré de responsables de la Confédération paysanne de l’Aude
Eric Andrieu, entouré de responsables de la Confédération paysanne de l’Aude

Quels sont les objectifs assignés au volet OCM, l’Organisation commune des marchés ?

Eric Andrieu : l’OCM, c’est la partie économique de la Pac, c’est loin d’être un outil anodin mais personne n’en parle. Peut-être est-ce parce que depuis 1995 et l’entrée de l’Agriculture dans l’Organisation mondiale du commerce, la Commission européenne s’arc-boute sur une vision libérale de la Pac, dépouillée de ses outils de régulation du marché, en dehors du secteur viticole. La Commission refuse de considérer que les marchés agricoles sont structurellement instables.

Quelles sont vos préconisations concernant le règlement OCM ?

Eric Andrieu : elles portent sur trois points. Il faut d’abord une harmonisation des règles environnementales et de santé concernant les importations. En matière de gestion de crise, il faut que la Commission rejoue son rôle de régulateur sectoriel, avec des systèmes d’alerte précoces assortis de mesures de retrait volontaire et/ou obligatoires. Aujourd’hui, les crises sont gérées indirectement par la mise en faillite des plus petites exploitations, aboutissant à la concentration et à l’agrandissement des exploitations, à l’opposé des recommandations du Green deal.

"L’Organisation commune de marché peut réellement revaloriser la garantie de revenus pour les agriculteurs."

Enfin, il faut avoir une politique de gestion des stocks. On me rétorque que l’OMC l’interdit mais l’OMC est en pleine révision. Un tout récent rapport de l’ONU, sur le droit à l’alimentation, prône la sortie de l’agriculture de l’OMC. L’Organisation commune de marché peut réellement revaloriser la garantie de revenus pour les agriculteurs. Parallèlement, il faudrait généraliser les systèmes d’auto-régulation qui prévalent pour les AOP et IGP dans les secteurs du vin, du fromage et du jambon.

Le volet des aides couplées n’est-il pas insuffisant au regard des enjeux de transition dont il est porteur ?

Eric Andrieu : évoquer les aides couplées revient à poser la question des paiements de base. L’UE est le dernier continent à accorder des paiements à l’hectare, au nom des règles de l’OMC que tous les autres pays transgressent. Ce système ne prend en compte ni l’économie, ni le revenu des agriculteurs, ni le lien avec les cultures et les aménités positives. Dans ces conditions, c’est impossible de faire évoluer les modèles. La prochaine Pac réservera 10% aux aides couplées, plus 2% aux protéines, plus 3% aux programmes sectoriels. C’est mieux que rien mais cela reste déconnecté des enjeux.

Que répondez-vous à la Confédération paysanne, qui dénonce les « oubliés de la Pac » que sont les petites fermes, les maraichers ou encore les viticulteurs ?

Eric Andrieu : la viticulture n’est pas oubliée. Elle bénéficie d’un programme national, avec la caution, en son temps, de toutes les organisations professionnelles. Nous avons obtenu la prorogation de 2030 à 2045 du système d’autorisation de plantation, qui est un véritable outil de régulation du marché. La Commission proposait un taux de 2% contre 1% aujourd’hui, ce qui aurait risqué de déréguler complètement le secteur. La possibilité de produire des vins désalcoolisés, entre 0,5° et 8,5°, est une autre conquête, ouvrant de nouveaux débouchés, que la chimie n’aurait pas manqué de capter.

On avance aussi sur l’étiquetage des ingrédients et des calories. Concernant les petites fermes, maraichères ou autres, le règlement actuel autorise le versement d’une aide de 1250 euros par exploitation et par an, dont quatre pays membres se sont saisis, mais pas la France. Rien ne l’empêche de le faire pour la Pac à venir, tout comme de réserver des aides couplées sur les 3% alloués aux aides sectorielles. Concernant les aides à l’actif, le sujet n’entre pas dans le champ de la négociation puisque le Parlement européen l’a rejeté.