« Citoyen de bon matin, consommateur passé le quart d’heure »

[Edito] L’étiquetage généralisé de l’origine des viandes crues dans la restauration collective et commerciale va permettre de passer au révélateur le consentement de nos concitoyens à payer le prix de leurs exigences, estime le ministre de l’Agriculture dans une formule presque aussi crue que la viande.

Le 18 janvier dernier, Julien Denormandie était auditionné par la Commission des affaires économiques de l’Assemblée nationale pour rendre compte de l’action gouvernementale au cours des cinq ans passés. Deux heures et trente minutes n’ont pas été de trop pour faire le bilan d’un mandat brinquebalé par pas mal de soubresauts, le ministère de l’Agriculture étant « le ministère des crises », comme en a convenu le ministre. Mais le quinquennat restera comme celui de l’adoption de pas moins de huit lois, dont quelques-unes adoptées au cours du tiers-temps (21 mois sur 60) qu’aura passé Julien Denormandie rue de Varenne. Citons Egalim 2, la loi foncière sur les parts sociales ou encore la loi gestante sur la gestion des risques, sans compter quelques accouchements pas toujours sans douleur comme l’élaboration du Plan stratégique national (PSN) ou encore le plan de lutte contre le mal-être en agriculture.

La cohabitation des contraires

Tous les députés présents, de tous bords, ont fait l’éloge de Julien Denormandie, de sa personne et comme de son costume de ministre. « Vous faites un bon ministre de l’Agriculture » s’est élevé le député Thierry Benoit (UDI), avant de revenir sur terre. « Je pense qu’en agriculture, il n’y a pas de place pour le "en même temps"», faisant allusion aux campagnes de dénigrement sur le bien-être animal et sur l’usage des produits phytosanitaires, potentielles menaces pour notre agriculture et notre souveraineté alimentaire et que le gouvernement n’aurait traitées à leur juste mesure.

Pour un ministre qui a fermé sine die des abattoirs fautifs ou qui a réautorisé temporairement les néonicotinoïdes, c’était sans doute un peu fort de café. « Je pense que le principal "en même tempsauquel on est confronté, c’est "citoyen de bon matin, consommateur passé le quart d’heure" », a rétorqué le ministre, dans une formulation « crue » de la théorie des contraires d’un intellectuel suisse. Et de citer la fin du broyage des poussins, programmée pour cette année, réclamée par tous car s’inscrivant « dans le sens de l’histoire, tant et tant attendu, mais dont personne ne veut payer le surcoût : 0,55 à 0,66 centime d’euro par œuf ». Moins d’un centime donc. « A la fin des fins, on va mettre en place ce que l’on adore en France : une CVO », a regretté le ministre.

Du premier au dernier quart d’heure

Le ministre n’a pas mésestimé les fins de mois toujours plus difficiles pour beaucoup. Le député Matthieu Orphelin (EELV) l’a d’ailleurs interpellé sur une mesure laissée en jachère, le chèque alimentaire, à destination des plus démunis. Julien Denormandie a invoqué le manque de temps nécessaire à l’élaboration et au déploiement de ce dispositif « pertinent et utile face à l’inégalité nutritionnelle qui perdure », même « s’il ne faut pas confondre politique économique et politique sociale », a précisé le ministre.

La cantine scolaire : rien de tel pour ménager l’égalité et l’accès à tous à la qualité nutritionnelle. C’est en tout cas l’objet, en plus du soutien aux produits nationaux, de la publication cette semaine du décret sur l’obligation d’étiquetage de l’origine des viandes dans la restauration hors domicile. A chacun d’entre nous d’être citoyen un peu plus d’un quart d’heure chaque matin et de tenir, jusqu’au déjeuner et au diner, en pesant sur les choix des chefs de nos cantines et restaurants. Julien Denormandie s’est de son côté engagé à agir jusque dans le dernier quart d’heure de son mandat.