Des bio-ressources pour remplacer les hydrocarbures ?

Des panneaux de construction en fibres végétales, des emballages en peau de fruits et de légumes, des biocarburants à partir de bois, des produits phytosanitaires à base de composés végétaux... En théorie, il est possible de presque tout faire à partir de bio-ressources. En pratique, c'est complexe, car il faut « penser global », de l'approvisionnement à l'utilisation sur le terrain, en passant par l'adaptation des process industriels et l'étude des impacts environnementaux. Les laboratoires de l'Inrae fourmillent de travaux sur ces thèmes.

Le vingtième siècle a vu se développer une économie pétrosourcée : la pétrochimie a su transformer les hydrocarbures fossiles en une multitude de produits, -carburants, plastiques, textiles, engrais, médicaments, cosmétiques, solvants, etc-, tous vite devenus indispensables et incontournables dans la plupart des sociétés modernes. Le pétrole et ses dérivés étant pointés comme responsables de nombreux désordres climatiques et environnementaux, il faut désormais leur trouver des remplaçants, si possibles aussi efficaces, mais moins néfastes pour l'environnement.

Une priorité stratégique de l'Inrae

Les bio-ressources font évidemment partie des candidats à ce remplacement et leur mobilisation massive est jugée essentielle pour atteindre l’objectif de zéro émission nette de gaz à effet de serre (GES) d’ici à 2050, prévu par la France et l'Europe. C'est pourquoi la valorisation des bio-ressources constitue l'une des priorités stratégiques de l'Institut national de recherche pour l'agriculture, l'alimentation et l'environnement (Inrae). Dans de nombreux laboratoires, ses chercheurs s'y attellent, mais ils n'ont pas la tâche facile : la matière vivante, c'est infiniment plus complexe, plus diversifié, et plus variable que des hydrocarbures fossiles...

Le microscopie électronique permet de mieux comprendre l'organisation cellulaire des bio-ressources que l'on cherche à valoriser
Le microscopie électronique permet de mieux comprendre l'organisation cellulaire des bio-ressources que l'on cherche à valoriser

En outre, ce que l'on demande à ces chercheurs, c'est non seulement de trouver des valorisations de ces bio-ressources, mais de le faire sans concurrencer les productions alimentaires, selon des procédés qui ne portent pas atteinte à l'environnement, en respectant les principes de l'agroécologie, et dans une logique de circularité (que les produits puissent eux-mêmes être recyclés).

Il leur faut en plus prendre en compte les coûts, qui devront être compatibles avec des utilisations à grande échelle, et même l'acceptabilité des consommateurs. En septembre dernier, l'Inrae a souhaité mettre en avant des exemples de ces recherches, en organisant une visite de l'unité Biopolymères, interactions, assemblages (BIA), du centre Inrae de Nantes, très impliquée dans cette nouvelle économie du vivant.

Le lin, matériau antique et moderne

Parmi les travaux présentés, ceux de Johnny Beaugrand sur les fibres de lin, une ressource agricole abondante en France, puisque notre pays en est le premier producteur mondial. Ce matériau d'usage ancien connaît une nouvelle jeunesse, et il a déjà été intégré dans l'industrie automobile en remplacement partiel de la fibre de verre pour le garnissage de l'intérieur des voitures. A performances mécaniques égales, ces fibres de lin sont plus légères que les fibres de verre, ce qui constitue une source d'économie de carburant.

Johnny Beaugrand, directeur de recherche à l'Inrae, centre de Nantes, travaille sur la valorisation des fibres de lin pour en faire des matériaux durables et fonctionnels, tels ces panneaux légers, solides et imprimables
Johnny Beaugrand, directeur de recherche à l'Inrae, centre de Nantes, travaille sur la valorisation des fibres de lin pour en faire des matériaux durables et fonctionnels, tels ces panneaux légers, solides et imprimables

Johnny Beaugrand travaille à élargir ces utilisations du lin, et a notamment participé à mettre au point un « headliner « d'avion (un élément intérieur de la carlingue) uniquement à base de fibres de lin texturées. Dans ses études sur leur durabilité technique -mieux vaut que les matériaux employés dans les avions ne soient pas rapidement biodégradables-, il a été amené à examiner des textiles égyptiens vieux de 4000 ans et des toiles peintes de la Renaissance. Ses conclusions : il est possible de piloter le vieillissement des matériaux à base de lin en fonction des conditions de fabrication et de conservation. Certains textiles égyptiens à base de lin avaient ainsi gardé de bonnes propriétés mécaniques.

La peau de tomate réinventée

C'est aussi à des propriétés mécaniques que s'intéresse Bénédicte Bakan, autre chercheuse de l'unité BIA. Elle, est une spécialiste des cuticules, les peaux des fruits, une bio-ressource que l'on peut trouver en quantité dans les déchets générés par les industries agroalimentaires (par exemple, l'industrie de la tomate génère à elle seule 1,5 million de tonnes de drêches). Bénédicte Bakan étudie la structure, la composition et la formation de cet organe remarquable qu'est la cuticule des fruits. Bien que très fine, la peau protège en effet le fruit des attaques d'insectes ou de champignons, elle résiste à l'eau (propriété hydrophobe), elle est insoluble, et elle est capable d'une certaine élasticité.

Bénédicte Bakan parvient à scinder le polymère composite qu'est une cuticule en ses unités constituantes, principalement des monomères d'acides gras hydroxylés. Comme on le ferait avec des briques de Lego, il est ensuite possible de réutiliser ces monomères pour construire des polymères, tout en pilotant leurs propriétés mécaniques, notamment leur « étirabilité » en leur adjoignant différentes quantités de glycérol. Le matériau obtenu est une sorte de «caoutchouc» 100% naturel et biodégradable.

Des éliciteurs de défense des plantes

Cerise sur le gâteau, alors que les chercheurs testaient l'emploi des monomères d'acides gras hydroxylés en tant que stabilisants dans divers produits liquides industriels, et notamment dans des produits phytosanitaires, une propriété nouvelle de ces composés a émergé : ce sont des éliciteurs de défense des plantes ! Ce qui est logique finalement : lorsqu'une plante est attaquée par un ravageur, sa peau est dégradée et les éléments issus de cette dégradation, les monomères, jouent un rôle d'alerte pour mettre en œuvre ses mécanismes de défense. Un brevet a d'ailleurs été déposé sur cette invention depuis 2018.

Cette invention a eu la chance de pouvoir sortir du laboratoire et de trouver des applications de terrain. Mais pour les centaines d'autres travaux qui sont en cours à l'Inrae (des carburants de 2e génération aux peintures sans solvants synthétiques, en passant par la valorisation pharmaceutique de la résine de pin sylvestre), le chemin est souvent long, de la découverte scientifique à son application sur le terrain : les chercheurs parlent de « parcours du combattant » ou « vallée de la mort » et estiment qu'il faut 8 à 15 ans pour faire sortir un produit. De lourds investissements sont nécessaires pour adapter les process industriels et la question des coûts est souvent le frein principal à l'utilisation des bio-ressources.