Décapitalisation bovine : panser l’avant-2030, penser l’après-2030

[Edito] Entre un rapport de la Cour de comptes sacrificiel et un ex-ministre de l’Agriculture promouvant les produits simili-carnés, les éleveurs bovins se demandent à quelle sauce ils vont être mangés par l’urgence climatique. Réponses dans le Pacte et la loi d’orientation agricole ?

A quoi bon subventionner à mort des élevages bovins non viables et contribuant massivement à l’empreinte carbone de la France, alors même que notre souveraineté alimentaire en viande n’est pas menacée ? C’est, en substance, le message délivré par la Cour des comptes dans un rapport publié le 22 mai, un coup de patte arrière de 137 pages à 130.000 éleveurs bovins. Intitulé : « Les soutiens publics aux éleveurs de bovins – période 2015 - 2022 », le rapport a évidemment déclenché une levée de bouclier dans la profession. « Selon la haute Administration, nos vaches ne disparaitraient pas assez vite des paysages français ? », s’est interrogée la FNB dans une lettre ouverte à la Première ministre. Et pour cause : la France a perdu près de 10% de ses effectifs de vaches au cours des six ans passés et devrait en abandonner encore 10% d’ici à 2030 selon les projections de l’Institut de l’élevage, avec, comme premier moteur, la démographie et la vague de départs à la retraite.

Cour des comptes, FNB : une même attente de cap

10% de vaches en moins en 2030, c’est autant d’émissions de GES en moins, l’élevage bovin étant responsable de 11,8% des émissions nationales totales (2018). Encore un petit effort et l’objectif de décarbonation assigné à l’agriculture d’ici à 2030, réévalué cette semaine par la Première ministre (mais dans une moindre mesure que les autres secteurs) sera atteint.

Sauf que la Cour des comptes ne se satisfait pas de la sélection naturelle : elle attend du ministère de l’Agriculture une stratégie de réduction du cheptel cohérente avec les objectifs climatiques de la France et une aide à la reconversion des éleveurs les plus en difficulté. Son constat est sans appel : « Sans les subventions, plus de 90 % des éleveurs de bovins viande et près de 75 % des éleveurs d’ovins et bovins mixtes auraient un RCAI négatif en 2019. Ce constat témoigne de la fragilité́ du modèle économique de l’élevage allaitant et des limites de la politique de soutien qui, si elle a permis de maintenir l’activité́ de nombreuses exploitations et des emplois associés, reste impuissante à les rendre performantes ». L’art, ou le courage, de jeter un pavé dans la bouse. Et plus elle est fraiche... Mais les rapports de la Cour sont plus vite enterrés que l'encre et les bouses séchées...

De son côté, la FNB attend du gouvernement « un plan, un cap, une stratégie » pour l’après-2030, jetant pour sa part une bouse aux pieds du locataire de Bercy, ex-ministre de l’Agriculture, vantant dernièrement les vertus environnementales de produits simili-carnés, propos jugé indigeste donc.

L’exemple du ministère de la Transition écologique

L’exemple à suivre pourrait venir d’un autre ministre, celui de la Transition écologique. Le 23 mai, Christophe Béchu nous a propulsés dans une France à +4°C en 2100, un scénario qualifié de « pessimiste » mais « réaliste », pour sortir du « déni » de l’Accord de Paris (+1,5 à +2°C) et mieux anticiper nos efforts d’adaptation, sans renoncer à nos efforts d’atténuation. Appliquée à la filière bovine, qui se contenterait d’une échéance à 2030, l’introspection offrirait vision et visibilité aux éleveurs, aux acteurs économiques et bien au-delà à toute la société, compte tenu des multiples imbrications socio-économiques inhérentes à l’alimentation.

Reste à ruminer cet idéal où chacun d’entre nous consommerait chaque semaine (mais sans obligation évidemment), les 500 grammes de viande recommandés par le Programme national nutrition santé (on est à 1,6 kilo), y compris les 9% de nos concitoyens dépendant de l’aide alimentaire et autres classes défavorisées, une viande d’origine française bien évidemment, sevrée du soja importé, pas trop pré-mâchée (pour conserver notre aptitude à mastiquer), pas trop ultra-transformée (pour préserver nos cellules et notre art de cuisiner), si possible sous signe de qualité pour égayer nos papilles et pourquoi pas bio pour préserver encore un peu plus notre planète, herbagère cela va sans dire, avec une note de pastoralisme pour réfréner la densification de l’élevage et la désertification de pans entiers du territoire (on n'oublie pas les moutons), une viande qui aurait la saveur de la bienveillance pour les femmes, pour les hommes et pour les animaux, dans les élevages et dans ce qu’il resterait d’abattoirs et autres usines agroalimentaires.... Si c’est au menu du Pacte et de la loi d’orientation agricole, chaud devant !