Elevage intensif : un décret qui divise

La publication du décret 2024-529 suscite les controverses. Les uns espéraient plus, les autres s'insurgent contre l'assouplissement des installations d'élevage intensif. Les éleveurs sont pris en étau. En réalité, c'est un manque de communication qui nourrit les fantasmes et écorne l'image des agriculteurs.

“Publié le 10 juin, quelques heures après l’annonce de la dissolution de l’Assemblée nationale, forcément, il est passé inaperçu”, constate amèrement le journaliste et militant écologique Hugo Clément. Sa colère vient de la publication du décret 2024-529 qui modifie certains articles du Code de l’environnement. 

Ainsi les seuils de la nomenclature des Installations Classées pour Protection de l’Environnement (ICPE) vont être revus à la hausse : les emplacements pour les élevages intensifs de volaille passeront de 40.000 à 85.000, de 2000 à 3000 emplacements pour les porcs de production, de 750 à 900 emplacements pour les truies. Désormais, l’installation des élevages sera soumise au cas par cas pour l’évaluation de l’ICPE, avec autorisation ou non du préfet. En résumé, cette modification du code de l’environnement favorise tout simplement l’installation de nouveaux élevages intensifs en France. 

Augmentation de la taille des élevages porcins et de volailles

Cette proposition n’est pas nouvelle, puisqu’elle faisait partie de la série de mesures présentées par le nouveau  Premier Ministre, Gabriel Attal, le jeudi 1er février 2024, suite à la crise agricole. Parmi les doléances des agriculteurs, l’harmonisation des critères européens pour ne plus avoir à subir de concurrence déloyale. Les seuils d'évaluation environnementale des élevages français sont désormais alignés sur les seuils européens. Si l’agriculture française fait notre fierté, elle est aussi l’une des plus contraignante : paperasse, surtransposition des directives européennes et compétition sapent le moral des agriculteurs. A cela s’ajoute le défi de la “souveraineté alimentaire”. Le fameux manger français ! Comment privilégier le local si les produits d’importation coûtent moins cher ? La réponse du gouvernement : augmenter la capacité des élevages pour favoriser l'autosuffisance alimentaire. 

Une agriculture intensive pour répondre à la demande 

Oeuf, poulet et porc, les filières observent une croissance significative de la consommation… mais elle est dopée par des importations venues en majorité hors de l’Europe. Selon l’interprofession ANVOL, 44 % des volailles consommées en France sont importées, + 3,2 % par rapport à 2022. + 3,4 % pour les importations de porc sur les deux premiers mois de 2024. Pour s’affranchir des importations, la France souhaite se positionner sur la production de produits dits “standards face à la demande des consommateurs qui privilégient les protéines à bas coût, inflation oblige. Attention, ce n’est pas parce que les autres font moins bien que l’Hexagone se contentera du minimum pour assurer qualité, durabilité et bien-être. 

La sémantique encore et toujours : le bien-être animal en toile de fond

Qu’est-ce que l’élevage intensif ?" interroge la présidente d’INAPORC, Anne Richard. “Ce n’est pas une question de taille. Vous pouvez avoir 300 truies dans un espace de 50 m2, on dira que c’est de l’élevage intensif” poursuit-elle. Faute de définition claire, la boîte de Pandore est ouverte. Les crispations à propos du décret 2024-259 ne concernent pas tellement les installations mais tournent autour du bien-être animal. Des mesures ont été pourtant prises : depuis 2022, la castration à vif des porcelets est interdite par exemple. Quant à l’interprofession de l'œuf, elle assure que 90 % des élevages seront alternatifs d’ici 2030, avec un abandon progressif de la cage. Ce n’est peut-être pas assez pour certains mais les choses changent. 

Enfin, ne minimisons pas le regard du consommateur qui contribue à faire évoluer les pratiques : la filière œuf par exemple s’est transformée puisque la vente des œufs de plein air (43,9 %) pour la consommation à domicile est passée en tête face aux œufs de cages aménagées (19,9 %). Les élevages n'ont pourtant pas tous rapetissé !

Les éleveurs encore pointés du doigt

C'est pénible. Lorsque des lois, décrets et mesures arrivent sur la table, il n'y a ni débat ni explications, entre les filières, les professionnels et les consommateurs. 

Le décret 2024-529 a ainsi été approuvé malgré une consultation publique organisée du 23 février au 17 mars 2024. 99,87 % des participants ont émis un avis négatif. Cette décision ne satisfait personne, ni les opposants ni les interprofessions qui attendaient des évolutions. “Rien ne va changer” regrette la présidente d’INAPORC qui espérait davantage. L’incompréhension des acteurs pour la modification des normes environnementales et les opposants grandit, égratignant au passage l’image des agriculteurs déjà mise à mal. 

Une méconnaissance de la réalité du terrain, un manque cruel de communication, un décret occulté par les élections européennes et qui plus est, contre l’avis de la majorité des contributeurs : vous obtenez le cocktail qui stigmatise les agriculteurs…déjà victimes d’agri-bashing.

Décidément, c'est la tour de Babel, personne ne se comprend. Un travail pédagogique serait extrêmement bienvenu et peut-être faudrait-il ouvrir les portes des élevages pour ainsi éviter de mettre tous les agriculteurs dans le même panier et nourrir tous les fantasmes ? Mais, comme le rappelle justement la présidente d’INAPORC, toutes ces questions demeurent, puisque l’avenir du projet de loi d'orientation agricole est en suspens pour cause, cette fois, d’élections législatives.