La tomate française voit rouge

En ratatouille, farcie, à la provençale… En été, la tomate déborde sur nos étals. Que diriez-vous d’une bonne salade de tomates… marocaines ? Un comble ! 1 tomate sur 3 n’est pas d’origine française. 36 % des tomates fraîches consommées dans l’hexagone sont importées, selon l’Association d’organisation de producteurs tomates et concombres de France (AOPn). Une concurrence jugée inacceptable par les maraîchers qui crient haro sur les importations marocaines.

Ce n’est pas la première fois que la tomate nord-africaine est prise pour cible. En juin 2023, les syndicats Légumes de France et la Fédération nationale des syndicats d’exploitants agricoles ont pris d’assaut les rayons d’un supermarché à Arles pour une opération collage. Les barquettes de tomates cerises ont été estampillées “Origine Maroc” en jaune pour dénoncer un emballage francisé où l’origine figurait en tout petit, donc induisant le consommateur en erreur. 
Jeudi dernier, pas de collage, mais un barrage filtrant de poids lourds au péage de Perpignan-Sud. Une dizaine d’agriculteurs de toute la France, sous l'égide de la FDSEA, les JA et Légumes de France, ont traqué les cargaisons de tomates marocaines. Mais seul un routier a vu sa marchandise interceptée et déchargée à terre. 

Réaction marocaine 

Le Maroc voit rouge. En réponse à ce barrage du 16 mai, la Confédération marocaine de l’agriculture et du développement rural (Comader) a publié un communiqué lundi, condamnant fermement les attaques “incompréhensibles” menées par les organisations françaises. Ces dernières exigent inlassablement un étiquetage plus clair sur la provenance et la fin de prix impossibles à atteindre pour les agriculteurs français. 

Pour la Comader, ces arguments sont inacceptables. Elle rappelle que les “tomates marocaines sont exportées vers la France dans un cadre juridique reconnu : l’accord agricole signé entre le Royaume du Maroc et l’Union européenne” Le royaume chérifien défend la qualité du fruit - souvent critiquée - et insiste sur le fait que “les tomates répondent à toutes les normes et exigences en vigueur et sont soumises à une surveillance stricte de la part des autorités sanitaires européennes avant d’entrer sur les marchés français et européens”. 

Importations en hausse

Les ménages français consomment près de 14 kg de tomates par an, ce qui en fait leur légume frais préféré (même si c’est un fruit). Entre la campagne 2021-2022 et celle de 2022-2023, les importations de tomates marocaines ont augmenté de plus de 7 %. Le Maroc n’est pas le seul fournisseur : Espagne, Italie, Pologne contribuent aussi à notre envie de tomates. Ainsi, la France est le troisième importateur mondial, derrière les États-Unis et l’Allemagne. Mais, ce qui distingue la tomate marocaine, c’est son prix. Elle coûte en moyenne 2,3 fois moins cher que les tomates françaises. Cette disparité s’explique en partie par des salaires moins rémunérateurs au Maroc : 1,50 euro de l'heure contre 11,65 euros pour le smic français. Double peine pour la France : en plus de ne pas pouvoir s’aligner sur de tels prix, la Bretagne, première région productrice, subit de plein fouet la hausse du prix du gaz, indispensable pour chauffer ses 600 hectares de serres.

Le Maroc seul responsable ? 

Peut-on accuser le Maroc de faire du commerce dans un cadre pourtant bien défini ? En se concentrant sur les accords avec le Mercosur, la France a détourné le regard de l’accord de libre-échange de 2012 avec le Maroc. En  12 ans, la situation a clairement évolué. Une révision serait sans doute nécessaire, notamment avec l’application des fameuses clauses miroirs ! Mais le véritable problème réside dans  une méconnaissance affligeante de la saisonnalité et de son respect. La Comader rappelle que “les tomates marocaines sont sur le marché français pour pallier la pénurie de production de tomates en cette période de l’année”. 

Selon l’accord de libre-échange avec l’Union européenne, le Maroc a un quota d’exportation de 285 000 tonnes de tomate sur le marché communautaire entre le 1er octobre et le 31 mai, en bénéficiant d’un abattement de 60 % de frais de douane. Cependant, dès que commencent les premières récoltes françaises, les tomates marocaines ne peuvent pas être vendues à des prix inférieurs à ceux fixés par l’Organisation mondiale du commerce. Si nous respections davantage nos agriculteurs, nous ne mangerions pas de tomates, ni en hiver ni au printemps, ce qui limiterait les importations. À quand les publicités “manger 5 fruits et légumes par jour… de saison” ? 

Un problème structurel en France

La France a délaissé la production de tomates de qualité moyenne à prix bas, particulièrement indispensable en période d’inflation. Certains maraîchers français se sont tournés vers la production de tomates anciennes qui n’ont que le nom, et d’autres des spécimens à haute valeur ajoutée. Pendant ce temps, le marché des tomates cerises nous passe sous le nez : les achats des ménages français sont passés de 7,8 % en 2015 à 14,3 % en 2020. La consommation de tomates cerises est exponentielle. 
Faute de concurrence, le Maroc prend la place et fait mal : 0,99 € le paquet de 250 g pour des tomates sans goût. La France ne peut pas rivaliser avec ces prix. Les tomates seront toujours plus chères et tout aussi fades hors saison. Enfin, il faudrait se pencher activement sur les grandes surfaces. Pourquoi donnent-elles une telle visibilité à ces produits et combien facturent-elles aux consommateurs ? Afficher des campagnes de soutien à nos maraîchers, c’est bien. Les mettre en pratique c’est mieux.