« En luttant contre les réservoirs viraux, on règle 90% des problèmes de jaunisse à coût zéro »

[Betteravenir 2023] C’est l’un des enseignements majeurs du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI) dont Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture à l’INRAE, a livré les principaux enseignements au salon de la betterave à Berny-en-Santerre dans la Somme.

Hasard du calendrier ou pas, la 7ème édition de Betteravenir, dont l’origine remonte à 1991, coïncidait avec les premières restitutions du Plan national de recherche et d’innovation (PNRI), décrété à l’automne 2020 au lendemain d’une attaque de jaunisse qui avait littéralement sonné la filière, avec une perte de production de près de 30% et un rendement moyen de 65t/ha, renvoyant au XXème siècle. Le PNRI, c’est 20 millions d’euros sur la table et trois ans de recherche fondamentale et appliquée, impliquant tous les acteurs de la filière, y compris les enseignants et les agriculteurs à travers les 70 fermes pilote d’expérimentation, une démarche que le ministre de l’Agriculture, en visite à Betteravenir le 25 octobre a qualifiée « d’exemplaire face à un défi un peu fou ». « Avec le PNRI, on a défini à la fois une destination et une trajectoire, c’est une approche qui s’est avérée très intéressante et qui peut dessiner la façon de travailler dans le cadre du prochain plan Ecophyto 2030 », souligne Christian Huyghe, directeur scientifique agriculture à l’INRAE et coordinateur du comité de coordination technique du PNRI.

La chasse aux réservoirs viraux, une mesure prophylactique

Trois ans, c’était aussi le laps de temps pendant lequel les planteurs auraient dû bénéficier d’une assurance anti-jaunisse avec la ré-autorisation dérogatoire des néonicotinoïdes en enrobé, à laquelle la Cour de justice de l’UE a prématurément mis fin le 19 janvier dernier, quelques semaines avant les premiers semis. « Cette décision nous a obligés à prendre des positions extrêmement ambitieuses sur les réservoirs viraux, poursuit Christian Huyghe. Ce levier a incontestablement contribué à la faible incidence de jaunisse en 2023, alors que le risque puceron était élevé, d’autant plus que l’on a eu des semis tardifs dans certaines régions ».

"Le paradoxe, c’est que les agriculteurs ont tendance à croire qu’une solution à coût zéro ne vaut rien alors que ça apporte beaucoup"

Les réservoirs viraux, ils sont principalement situés dans les repousses de betteraves dans les céréales suivantes, dans les couloirs de déterrage et enfin dans les betteraves porte-graines. « Quand un puceron nait, il est indemne de virus, poursuit le chercheur. Le puceron va se charger en virus dans les 200.000 ha de céréales qui sont semées en direct derrière les betteraves, sur les petites betteraves qui vont refaire des feuilles et qui ont toutes les chances d’être virosées précisément parce qu’elles ont moins poussé que les autres. Pour les déjouer, il suffit d’être vigilant à la récolte et de modifier simplement la temporalité du désherbage, sans surcoût. Les silos et couloirs de déterrage constituent un autre foyer de contamination et là encore on peut régler le problème assez facilement et là encore sans surcoût. En luttant contre les réservoirs viraux, on règle 90% des problèmes de jaunisse à coût zéro. Le paradoxe, c’est que les planteurs ont tendance à croire qu’une solution à coût zéro ne vaut rien alors que ça apporte beaucoup ».

Les mesures prophylactiques nécessitent cependant de coordonner une lutte collective à l’échelle des territoires. « Il y aura des petits paquets que l’on ne maîtrise pas, tels que les betteraves sauvages sur la partie du littoral compris entre Cherbourg et Dunkerque ou encore les betteraves rouges dans les jardins des particuliers. Mais ce n’est pas une raison de ne pas agir sur les grosses masses de contamination ».

Outre la traque des réservoirs viraux et l’amélioration de la connaissance des virus, au nombre de quatre contre deux supposés avant le programme, le PNRI a été riche d’enseignements sur la connaissance des pucerons. « On a énormément progressé sur la modélisation et on peut désormais prédire avec précision le jour de leur arrivée, témoigne Christian Huyghe. A partir de là, on peut positionner très précisément, par exemple, le passage unique de l’insecticide Teppekki ou encore les phéromones, répulsifs et autres auxiliaires ».

Ne pas tout miser sur les variétés résistantes

Réservoir viraux, modélisation des pucerons, plantes compagne, phéromones, répulsifs, auxiliaires... : tels sont quelques-uns des leviers, qui additionnés, devraient permettre de contrôler la jaunisse dans les années à venir. On n’oublie pas la génétique et la sélection de variétés résistantes. « On aura demain des variétés résistantes, j’espère, aux quatre virus, devise le chercheur. Mais il faudra conserver une vraie vigilance sur les réservoirs de virus car si on sème partout la première variété résistante qui émergera, on va mettre une pression énorme considérable sur les populations de virus. Quand vous généraliser l’usage d’une solution, vous générez des résistances. Le vivant a un peu plus de deux milliards d’années derrière lui et il n’a qu’un seul objectif : survivre. Et s’il subit une pression, il fait le tour. Avec nos produits xénobiotiques, on met une pression énorme sur le vivant, qui finit par la contourner, du fait de sa variabilité ».

"Il faut en finir avec le principe : j’ai un problème, j’ai une solution, je tape dessus, le problème est résolu"

Le chercheur appelle les agriculteurs à un changement de paradigme. « Il faut en finir avec le principe : j’ai un problème, j’ai une solution, je tape dessus, le problème est résolu. Il faut tout faire pour éviter que le problème ne survienne et ensuite combiner tout un tas de leviers pour le résoudre ». Le conseil vaut aussi pour l’amont. « Au dernier meeting annuel des entreprises de biocontrôle à Bâle, j’ai vu des présentations avec à l’écran des grandes parcelles, très très homogènes, dépourvues d’éléments semi-naturels, des espaces biologiquement stériles à la vérité. C’est comme ça que l’on fabrique une représentation collective de ce qu’est une belle parcelle. C’est exactement le contraire de ce qu’il faut faire ».