Femmes en élevage : quand un matériel non adapté dégrade leur santé

Les éleveuses ont davantage d’accidents du travail que les autres agricultrices et ont plus de troubles musculosquelettiques que leurs consœurs et leurs collègues masculins. La cause ? Des équipements non adaptés à leur morphologie.

Le renouvellement des générations en élevage constitue un défi majeur pour l’agriculture française. Pour atteindre cet objectif, il serait dommage de ne pas pouvoir compter sur la moitié de la population : les femmes.

Aujourd’hui, l’élevage est un monde dominé par les hommes. Selon le recensement agricole de 2020, dans les exploitations avec élevage, la part des femmes constitue seulement 25 %. Si les femmes sont relativement présentes en élevage de petits ruminants (chèvres et moutons), elles le sont beaucoup moins en élevage bovin, lait et viande. La situation est particulièrement critique parmi les femmes de moins de 40 ans : 15 % seulement sont cheffes d’exploitations bovines.

Accidents du travail : des chutes et des coups

Responsable prévention des risques professionnels au sein de la caisse centrale de la MSA, Magalie Cayon a présenté les résultats d’une étude récente sur les accidents du travail et les maladies professionnelles des femmes, les cheffes d’exploitations et les conjointes-collaboratrices sur quatre années, de 2019 à 2022.

Les femmes représentent 25 % des victimes des accidents du travail. Mais pour Magalie Cayon, ce résultat est surprenant car dans la population générale agricole, les femmes ont moins d’accidents que les hommes : elles ne représentent que 19 % des accidents du travail en agriculture.

« 55 % des non-salariées agricoles travaillent en élevage, mais elles représentent 72 % des accidents du travail. Cela signifie que l’élevage est un secteur plus accidentogène que les autres activités agricoles », poursuit Magalie Cayon. Le taux d’accidents est particulièrement élevé en bovins lait, bovins viande et porcs, alors que les élevages de petits ruminants et de volaille comptabilisent moins d’accidents que la moyenne.

Le nombre de jours d’arrêts de travail moyen pour les femmes accidentées en élevage est de 114 jours, contre 101 pour les hommes, ce qui témoigne aussi de la gravité des accidents. Ce sont le plus souvent des chutes (un tiers des accidents), et des contacts avec les animaux (un quart des accidents). Les motifs les plus souvent cités sont : chutes de plain-pied, pertes d’équilibre, écrasement, collision et coups.

La spécialiste de la prévention note une autre particularité des accidents du travail des femmes en élevage : ils touchent souvent les membres inférieurs (fractures, fêlures, entorse, plaies…), alors qu’en général, les femmes des autres secteurs agricoles se blessent les membres supérieurs (mains et bras).

Des éléments du bâtiment et des animaux, mais peu de machines responsables des accidents 

Les éléments matériels les plus souvent impliqués dans les accidents sont des barrières, parcs de contention, cornadis, dénivellations, marches, escaliers… « Ce qui cause les accidents du travail en élevage ce sont donc des éléments de bâtiment et les animaux. On retrouve très peu d’accidents liés à des machines ».

Sur les accidents du travail non mortels avec incapacité permanente en élevage, le même phénomène est observé : 28 % des victimes sont des femmes et les chutes sont les causes dominantes d’incapacité.

Une fréquence très élevée de troubles musculosquelettiques (TMS)

Sur le plan des maladies professionnelles en élevage, les femmes sont deux fois plus touchées que les hommes : elles représentent 45 % de ces maladies (alors qu’elles ne sont que 25 % des effectifs). 

Parmi ces maladies professionnelles, une immense majorité (85 %) sont des troubles musculosquelettiques. « En élevage, les femmes font plus de gestes fins et répétitifs que les hommes, et elles utilisent parfois des matériels non adaptés qui leur font prendre de mauvaises postures. C’est le cas par exemple des salles de traite souvent conçues pour des hommes. Il faudrait travailler à l’adaptation des équipements qui puissent correspondre à leurs capacités, à leur morphologie ».

« Tout est dimensionné pour des hommes »

Sociologue, James Hogge, chargé de mission « femmes en élevage » à l’Idele, confirme : les équipements d’élevage sont peu adaptés aux morphologies féminines. Dans le cadre d’une étude qualitative menée auprès 17 éleveuses, il a entendu ces plaintes régulières : « Toutes ont mentionné avoir des difficultés avec les charges lourdes. Une agricultrice m’a rapporté cette réflexion : « Il y a un vrai problème en agriculture, c'est que tout est dimensionné pour des hommes, pour la puissance physique des hommes » ». Pour le sociologue, trois « solutions » sont employées par les femmes face à ces difficultés : soit « forcer » et se faire mal, et c’est malheureusement trop souvent le cas ; soit demander de l’aide à des hommes (ce qui ne renforce pas la confiance et l’autonomie des femmes) ; soit, transformer, adapter la tâche, voire carrément changer de pratique, innover.

Quand les femmes innovent

Cela peut être, par exemple, une nouvelle méthode pour curer du fumier « par couches », un changement de génétique animale, davantage de dressage des animaux pour faciliter les soins… « Dans ces cas-là, non seulement les femmes bénéficient de l’innovation, mais également l’ensemble du collectif de travail, et bien souvent, les animaux aussi ».

Ces innovations « féminines » peuvent être encouragées et accompagnées dans le cadre de groupes de travail non mixtes, notamment avec la coopérative d’auto-construction « l’atelier paysan ». Dans ces groupes (encore trop peu nombreux), les femmes ont l’occasion d’augmenter leur capital technique et de se réapproprier le matériel agricole via l’auto-construction d’outils qui répondent à leurs besoins spécifiques.