Fertilisation et agriculture bio : vers un déséquilibre entre l’offre et la demande

Une étude commanditée par le ministère de l’Agriculture pointe un risque de tension sur l’azote sous le double effet de la montée en charge de l’agriculture biologique et de l’appauvrissement du gisement de fertilisants organiques. Sauf à revoir le cadre réglementaire entourant le recours aux effluents d’élevages « industriels » ou à exploiter de nouvelles ressources.

18% de la SAU française certifiée bio en 2027 (contre 10,7% fin 2022), 25% en 2030 à l’échelle de l’Union européenne (conte 9,9% fin 2021) : au-delà des débats sur la souveraineté alimentaire et du consentement de nos concitoyens à consommer davantage bio, le développement de l’agriculture biologique pose aussi la question de sa satisfaction en fertilisants organiques, qu’éclaire une étude d’AND-International et Cérès-Press, pour le compte du ministère de l’Agriculture.

Décapitalisation et concentration

Ses conclusions soulignent la fragilité de l’équilibre entre une offre provenant de façon quasi-exclusive du secteur agricole, en particulier de l’élevage bovin, et une demande issue des surfaces fourragères, et dans une moindre mesure des grandes cultures. Cette vulnérabilité, liée au facteur limitant qu’est l’azote, se conjugue à une grande disparité spatiale, en fonction de la spécialisation des productions agricoles dans les territoires. La vulnérabilité découle du lien étroit existant entre agriculture biologique et conventionnelle, en particulier s’agissant de l’élevage bovin pour la fourniture de fertilisants organiques. La baisse des effectifs d’animaux (notamment bovins), la poursuite de la concentration des élevages (notamment porcins), associées à l’essor de la méthanisation, pourraient priver les productions biologiques de ressources dans le cadre règlementaire actuel. Le développement de nouvelles ressources issues de biodéchets ne permettrait pas de compenser cette baisse. La compétition sur ces gisements, avec le secteur conventionnel, pourrait s’accroître avec la hausse du prix des engrais et la volonté de décarbonation des filières agricoles.

Un gisement en partie oblitéré par « l’élevage industriel »...

Selon l’étude, le gisement de Matières fertilisantes d’origine résiduaire (MAFOR), à savoir les fientes, fumiers, lisiers, boues d’épuration, composts de déchets organiques, digestats de déchets organiques, cendre de biomasse, etc., s’établit à 123 millions de tonnes par an (Mt/an) en 2020, dont 112 Mt Utilisables en production biologique (UAB). Les MAFOR agricoles, c’est-à-dire les effluents d’élevages, sont de loin la première source en volume brut, puisqu’ils constituent 97% du gisement de MAFOR UAB. Les effluents issus d’élevages bovins, prépondérants parmi les MAFOR UAB, totalisent 66% de l’azote, 58% du phosphore et 75% du potassium efficaces du gisement. Cette prédominance des effluents d’origine bovine résulte en partie de l’interdiction d’utiliser des effluents issus « d’élevages industriels ».

Depuis le 1er janvier 2021 sont en effet proscrits les fumiers et lisiers en provenance d’élevages comptant plus de 60.000 poules pondeuses élevées en cages, plus de 3.000 porcs de plus de 30 kg ou encore plus de 900 emplacements de truies en systèmes caillebotis ou grilles intégral. Ainsi, moins d’un tiers des effluents de poules pondeuses en cages sont utilisables en agriculture biologique, et environ 75% de ceux de porcs. « Dans ce contexte, la définition de « l’élevage industriel » et l’évolution des types d’élevage auront un impact majeur sur le gisement de MAFOR disponible pour l’agriculture biologique », indique l’étude.

... en partie compensé par les biodéchets

La baisse tendancielle du gisement issu de l’élevage pourrait, au moins en partie, être compensée par la mise à disposition de nouveaux gisements, comme le compost de déchets bois, les biodéchets ou encore les digestats de méthanisation. Sous réserve d’une ouverture réglementaire, la part de ces « nouvelles » ressources pourrait atteindre jusqu'à 25% du gisement total. L’étude recommande d’inventorier plus en avant le potentiel de ces nouvelles ressources, y compris celles provenant des excrétas humains. La transportabilité des MAFOR UAB mériterait aussi d’être expertisée : 70% des gisements d’azote UAB sont ainsi concentrés dans six régions que sont la Bretagne, les Pays de la Loire, Auvergne- Rhône-Alpes, Nouvelle-Aquitaine, Normandie et Grand Est.