Alimentation, excrétion, fertilisation

[Edito] Ce n’est pas encore la devise de la France agroalimentaire. Mais alors que les eaux usées traitées s’invitent dans l’irrigation, l’urine pourrait servir la fertilisation. Du transit aux transitions, un circuit toujours plus court mais encore lointain.

Déguster des pâtisseries élaborées avec du blé fertilisé avec de l’urine humaine : c’est l’expérience à laquelle le programme de recherche-action Ocapi (Organisation des cycles carbone azote et phosphore dans les territoires) convie les franciliennes et franciliens ce dimanche 14 mai. La pâtisserie franco-japonaise Tomo (Paris 2ème) proposera en effet des dégustations de dorayaki (sortes de pancakes fourrés à la pâte de haricot rouge) élaborés avec une farine de blé issu de parcelles expérimentales situées dans l’Essonne et fertilisées aux urino-fertilisants. Un programme des plus sérieux, avec moult cautions scientifiques (Ecole des Ponts ParisTech, CNRS, INRAE...), académiques (AgroParisTech, Sorbonne Université, Université Paris-Saclay...) et institutionnelles (Ademe, Agence de l’eau Seine-Normandie, Chambre d’agriculture...).

Des vessies pour des lanternes ?

Les chercheurs ne prendraient-ils pas des vessies pour des lanternes ? Quid des installations de collecte sélective des excrétas humains ? En France, on recense une trentaine d’installations (ou de projets) dont la plus significative (à Paris) cumule 600 logements avec système de collecte séparatif des urines (WC à séparation, urinoir sec...) et réseau dédié. Quid des résidus pharmaceutiques et autres pathogènes dans les sols ? En l’état actuel des connaissances, l’Organisation mondiale de la santé (OMS) avalise l’innocuité des urino-fertilisants. Le programme Ocapi explore le sujet mais les chercheurs font remarquer que les résidus pharmaceutiques ne sont pas spécifiquement traités en station de traitement des eaux usées (et qu’il n’y a pas plus de filtres pour les effluents d’élevage retournés au sol). Quid de la réglementation ? La start-up française Toopi Organics a décroché une Autorisation de mise sur le marché pour son biostimulant urino-sourcé Lactopi Start qui, à l’en croire, améliore la nutrition des plantes jusqu’à 50%. Différents procédés technologiques visent à concentrer les nutriments de l’urine (0,6N, 0,05P, 0,1K) pour en faire des nutriments des plantes.

Ne plus se retenir

Selon les chercheurs du programme Ocapi, notre système « alimentation-excrétion » est polluant et énergivore car il repose d’un côté sur l’utilisation d’engrais de synthèse pour enrichir les sols en nutriments et de l’autre côté sur la consommation d’eau (1,3 litre d’urine par jour et par personne dilué dans 150 litres d’eau) et sur le coûteux traitement des eaux usées. Quand le déchet devient ressource, l’analyse du cycle de vie en ressort en général flattée et c’est le cas pour les urino-fertilisants, selon les enseignements d’Ocapi. Néanmoins, il va encore passer de l’eau dans les chasses d’eau avant que le court-circuitage ne devienne réalité. Il faudra notamment déjouer le facteur « beurk », que doit aussi affronter la réutilisation des eaux usées traitées, encouragée dans le récent Plan eau. D’ici là, s’il vous vient une envie de dorayaki...