Handicap et agriculture : ouvrir le champ des possibles

Travailler en agriculture lorsqu’on est en situation de handicap est non seulement possible, mais souhaitable : le secteur a besoin de main d’œuvre, salariée ou installée, et les personnes handicapées peuvent trouver en agriculture une insertion et un épanouissement professionnels. Avec le projet Handi-CAP vers l’agriculture, la chambre d’agriculture de Bretagne souhaite prévenir, sensibiliser et agir sur ce sujet

Ils n’étaient pas peu fiers, les porteurs du projet « Handi-CAP vers l’agriculture » lorsqu’ils ont appris cet été que leur initiative avait reçu un Innov’Space ! Ce n’est pas tous les jours en effet qu’une initiative humaine et sociale se retrouve ainsi reconnue comme innovation remarquable par un jury d’une cinquantaine d’experts spécialisés en élevage.

Handi-CAP vers l’agriculture est un projet mené depuis plusieurs années par le groupe de travail égalité-parité de la chambre d’agriculture de Bretagne, et qui a pour but de « faire tomber les barrières » entre les mondes de l’agriculture et du handicap. Dans ce projet, la chambre d’agriculture est accompagnée d’une vingtaine de partenaires (dont la MSA, la Fondation Avril, Ocapiat, Agefiph, le Crédit agricole de Bretagne…).

Deux mondes qui ont intérêt à mieux se connaître

Dans un contexte où l’agriculture est en grand manque de main d’œuvre, et où de nombreuses personnes en situation de handicap aimeraient travailler en agriculture (plus de 5 % des demandeurs d’emploi en situation de handicap l’expriment), ces deux mondes ont tout intérêt à se rapprocher. Et pour se rapprocher, rien de mieux que d’apprendre à se connaître et chercher à dépasser les peurs et les idées reçues. 

« Les métiers de l’agriculture sont parfois perçus comme physiques, pénibles et peu adaptés aux personnes en situation de handicap. Pourtant, des solutions sont possibles face aux handicaps, qu’ils soient visibles ou non ! », assure Marie-Christine Le Crubière, la présidente du groupe de travail égalité-parité de la chambre d’agriculture de Bretagne, qui mène ce projet avec un dynamisme et un enthousiasme contagieux.

Handi-CAP vers l’agriculture est un projet porté par le groupe de travail égalité-parité de la chambre d’agriculture de Bretagne. Il a reçu un Innov’Space en septembre dernier.

Déjouer les préjugés, c’est d’abord faire savoir que le handicap est présent en agriculture : 2,2 % des personnes ayant un emploi en agriculture sont porteuses de handicap. C’est sensiblement la même proportion que la moyenne de toutes les professions (2,4 %). Une partie de ces personnes sont devenues handicapées dans le cadre de leur travail : le secteur agricole est, malheureusement, l’un de ceux où les accidents du travail et les TMS (troubles musculosquelettiques) sont les plus fréquents. 

Il est important aussi de rappeler que 80 % des handicaps sont invisibles : les maladies invalidantes, les déficiences visuelles, auditives, intellectuelles, les troubles psychiques, les troubles cognitifs (dont font partie tous les troubles « dys », dyslexique, dyspraxique…) peuvent engendrer des handicaps qui se voient beaucoup moins que les troubles moteurs. « Il faut démystifier le handicap » assure Marie-Christine Le Crubière, qui, après toutes ces années passées à piloter ce travail, est désormais convaincue que « tout handicap a sa solution » et que « la différence est une chance ».

Un guide pratique et inspirant

Concrètement, le projet Handi-CAP a débouché sur la réalisation d’un guide pratique de 32 pages comprenant des fiches techniques, des contacts et glossaires, mais dont l’essentiel du contenu est constitué de 8 témoignages inspirants de personnes handicapées qui travaillent en agriculture. « On aurait pu en faire une bible », raconte Nabila Gain-Nachi, chargée de mission égalité/parité et conseillère en relations humaines, « mais on a préféré parler de l’humain. C’est mieux lorsque les gens racontent ce qu’ils ont vécu ». 

Ce guide pratique est illustré de portraits des personnes interviewées, et toutes ces photos font partie d’une exposition itinérante « Nouveaux regards sur le handicap en agriculture » qui aura vocation à voyager à travers la région. Pour être accessibles au plus grand nombre, les textes des témoignages ont été adaptés par une spécialiste en écriture « Falc » (Facile à lire et à comprendre) et ils sont également déclinés en podcasts.

Une première journée de rencontre

Handi-CAP vers l’agriculture a également produit une mallette pédagogique destinée à sensibiliser les centres de formation agricole aux enjeux du handicap. Enfin, l’un des points d’orgue du projet a été l’organisation de la première rencontre régionale « handicap et travail en agriculture » à Moustoir-Ac (56) le 12 septembre dernier. Près de 200 personnes y ont assisté, en situation de handicap ou non, et de nombreux contacts ont été pris.

Cette journée, qui était entièrement traduite en langue des signes, a constitué l’occasion de montrer, l’étendue des possibilités de travailler en agriculture pour les personnes en situation de handicap. Les dispositifs spécifiques, les possibilités d’accompagnement techniques et financiers, sont nombreux et efficaces, qu’il s’agisse de la formation, de l’installation, du recrutement ou du maintien en emploi.

La première rencontre régionale handicap et travail en agriculture s’est tenue à Moustoir-Ac (56) en septembre dernier. Crédit : Catherine Perrot

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Les avancées en matière d’insertion professionnelle sont bien réelles, a rappelé Jérémy Boroy, le président du Conseil national consultatif des personnes handicapés, parrain de Handi-CAP vers l’agriculture : le taux de chômage des personnes handicapées est passé de 17 % en 2015 à 12 % aujourd’hui. Tous les freins sont cependant loin d’être levés concernant l’inclusion des personnes handicapées en agriculture, certains étant administratifs (reconnaissance du statut, calcul d’un taux d’incapacité…), d’autres financiers (accès à des prêts bancaires par exemple), d’autres, enfin, de nature sociétale (préjugés, discriminations…).

Lors de la journée, Marie-Christine Le Crubière a insisté sur le fait que le secteur agricole avait des caractéristiques qui peuvent être favorables à l’insertion de personnes en situation de handicap. On y trouve des entreprises de taille familiale, des valeurs de solidarité encore actives et une tradition d’accueil qui ne date pas d’hier : beaucoup d’agriculteurs se souviennent en effet des commis placés dans les fermes, souvent des personnes en situation de déficience intellectuelle légère, qui trouvaient ainsi une insertion professionnelle et un environnement familial.