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Installation en Aveyron (3/3) : « En tant que hors-cadre, j’ai un regard différent sur l’exploitation »
En même temps que David, Clémence Bernié a épousé l’agriculture. Tout sauf un mariage forcé, même s’il lui a fallu jouer des coudes au sein de l’élevage de bovins allaitants. Aujourd’hui, pour le meilleur et seulement le meilleur, la synergie et l'osmose jouent à plein.
« Tu as un œil particulier avec les bêtes alors que tu n’es pas du milieu » : c’est sans doute le plus beau compliment que Clémence a reçu de Roger Bernié, le père de David, son mari, éleveurs de père en fils depuis quelques générations. Originaire de l’Aveyron, Clémence n’est pas issue du milieu agricole mais elle s’est orientée dans l’enseignement agricole, sitôt le collège. « Pour moi c’était le plus beau métier du monde, au grand étonnement de mes parents ». Son bac en poche, Clémence a voulu enchainer sur un BTS en productions animales.
Sauf que. « Si tu n’es pas fille d’agriculteur, tu n’as rien à faire en productions animales », s’est entendue dire la lycéenne par sa prof principale. C’était il y dix ans à peine, un autre siècle. La bachelière a obtempéré et choisi l’aménagement du paysage. Après plusieurs expériences professionnelles, dont une à la coopérative Jeune montagne à Laguiole, elle croise celui qui sera son futur mari au cours des soirées festives du foyer rural de Lassouts.
En Gaec avec son père puis sa mère, David élève 90 mères à la sortie du village. Le rêve. Sauf que. « Dès le départ, mon mari m’a fait comprendre que je n’étais pas bienvenue sur l’exploitation, déclare Clémence, avec le franc-parler qui la caractérise. Mais c’était pour notre bien à tous les deux et à notre future famille. En étant salariée, j’aurais eu cinq semaines de congés payés, et dans l’esprit de mon mari, c’était l’occasion pour lui et pour nous de sortir le nez du guidon ». Raté. Les parents de David prenant de l’âge, Clémence finit par frapper à la porte du Point accueil installation (PAI) de Rodez. En avril 2016, elle intègre le Gaec. « C’était le 13 avril, précise Clémence. Le notaire est venu me faire signer l’acte à l’hôpital car j’ai dû rester alitée pendant trois mois lors de ma grossesse ».
Faire sa place en l’absence de projet nouveau
Le contexte puis l’heureux évènement quelques mois plus tard vont perturber l’implication de la jeune éleveuse dans l’exploitation. « C‘était d’autant plus compliqué que mon installation n’était assortie d’aucun projet, précise-t-elle. L’exploitation était en rythme de croisière, sans grand-chose à apporter, avec des emprunts à assumer ». A défaut de grand soir, et de révolution, Clémence va y aller par petites touches. Presque totalement novice en élevage, elle commence par attraper David par le licol : « Une vache, ça mange du foin : explique-moi pourquoi ». En 2022, quand son mari lui demande de faire rentrer des tourteaux pour remplir la cellule, Clémence tique. « Le commercial, il est très gentil mais c’est moi qui fait le chèque de 1600 euros. Depuis cinq ans, David n’a pas mis le nez dans les papiers ».
Le dossier de la contractualisation à bras le corps
Depuis son installation, Clémence assume totalement la charge administrative de l’exploitation, sans pour autant s’y cantonner. Elle s’est aussi attelée à l’analyse technico-économique avec l’objectif de maîtriser les coûts de production, son prochain chantier, pas trop le truc de son mari. « On se défend bien sur le prix du broutard, on a de beaux animaux, la conformation plait, on est assez technique mais sur le coût de production, on est à zéro. Je pense que la contractualisation va nous pousser là-dessus ».
La contractualisation, Clémence a totalement investi le sujet, avant la promulgation de la loi Egalim 2 à l’automne dernier. « Même si beaucoup de gens n’en ont pas envie, affirment que c’est pas fait pour eux, que c’est encore un changement, j’ai envie d’y croire, même quand certains me disent que depuis 40 ans, c’est les Italiens qui décident. Moi, j’ai un problème quand on me dit : « négociants et éleveurs solidaires ». Le prix de la viande a pris 77% en 20 ans pour le consommateur et nous on a pris 30%. Je ne sais pas où le reste est passé. Avec Egalim 2, il y a des opportunités, avec les collectivités par exemple. Dans l’Aveyron, on n’est pas bon pour engraisser, mais est-ce que ça vaut pas le coup de garder 10 génisses pour ces nouvelles filières ? Egalim 2, c’est des hommes politiques qui ont écrit ça, je ne dis pas que ça va marcher, mais je ne peux pas ne pas essayer ».
Parler en francs et franc-parler
La mise en oeuvre d’Egalim 2 pour les broutards, c’est pour juillet prochain. « A cette date, les nôtres seront déjà partis, c’est très bien, on verra ça l’année prochaine », déclare Clémence, soucieuse de ne pas mettre de trop grands coups de pied dans la taupinière. Mais elle ne lâchera pas le morceau. « Personne ne signera avec nous sur 100% des coûts de production mais si on arrive à 80/20 ou 70/30, ça sera toujours mieux qu’aujourd’hui. Il faut se lancer, le plus difficile, c’est de faire le premier contrat et d’y passer deux heures, le suivant prendra dix minutes. Il faut prendre le temps de faire un papier et ne plus être derrière la vache à entendre : « je te la prends à 5 euros ». Moi je parle en euros, mais mon beau-père, il parle en francs ». Clémence, c’est plutôt le franc-parler, on vous l’avait dit.
Et ce n'est pas fini. « Moi, j’ai dit à mon mari : vivre sur les aides de la Pac, personne ne travaille comme ça, c’est pas normal, on peut se permettre d’aller chercher de la qualité sur d’autres filières ». Bousculer l’ordre établi et déjouer la fatalité : tel est peut-être, aussi, l’intérêt des hors-cadre. Mais Clémence ne s’est pas contentée de la partie administrative et économique. Elle a aussi investi la technique, en développant par exemple les soins homéopathiques et les huiles essentielles. « Mon mari et mon beau-père m’ont fait confiance, c’est une fierté, même si le vétérinaire vient toujours de temps en temps ».
Clémence relate le même sentiment de fierté de ses propres parents. « Au début, ils ont eu un peu peur. Quand il faut faire des prêts de 60 000 euros pour des parts sociales et de 61 000 euros pour le BFR, ce qui n’est rien par rapport à d’autres, le tout pour se verser 750 euros par mois, je peux comprendre ».
Avec le temps, l'expérience, la montée en compétences, son œil hors-cadre ne risque-t-il pas de devenir moins vif ? « J'essaie de m'en prémunir en m’extrayant de temps en temps de l’exploitation, en m'investissant aux JA et en continuant à me former, répond-elle. Je ne suis pas à l’aise sur tous les sujets ». Les hommes sont prévenus.
Les articles de la série : Installation en Aveyron (1/3) : « On a atteint un point de rupture » Installation en Aveyron (2/3) : une voie lactée et presque toute tracée |