L’agriculture à la croisée des enjeux climatiques et géopolitiques

[Edito] Quelques jours seulement après le début de la guerre en Ukraine est paru le dernier rapport du Giec sur le climat. Un télescopage de calendrier qui doit nous rappeler à quel point l’agriculture est impactée par le défi climatique autant que par l’insécurité géopolitique. Et que les deux combats doivent être menés de front.

Voici trois semaines que l’armée russe a envahi l’Ukraine, et plus le conflit dure, plus les alertes sur la sécurité alimentaire mondiale se multiplient. La guerre expose aux yeux du monde le rôle majeur que jouent ces deux pays de la mer Noire dans les échanges mondiaux de matières premières agricoles et la vulnérabilité de nombreux Etats qui dépendent des importations de blé.

Selon l’Organisation des Nations Unies pour l’alimentation et l’agriculture (FAO), une trentaine de pays sont dépendants à plus de 50% des importations de blé russes ou ukrainiennes, parmi lesquels la Lybie, le Pakistan, l’Egypte, le Liban, la Somalie, l’Erythrée… Par ailleurs, de nombreux pays d’Europe et d’Asie centrale (Biélorussie, Finlande, Estonie, Serbie, Kazakhstan…) dépendent à plus de 50% des exportations d’engrais en provenance de Russie, premier producteur mondial.

On ne sait quelles seront l’intensité et la durée de ce conflit. Mais on comprend, au regard de ces données, à quel point la perturbation des activités agricoles dans ces deux grands pays exportateurs aura des conséquences sur la sécurité alimentaire mondiale, alors même que les prix des matières premières étaient déjà très élevés ces derniers mois. D’ores et déjà, les cartes des échanges mondiaux de matières premières sont rebattues. Les pays importateurs cherchent de nouvelles sources d’approvisionnement, quand certains pays exportateurs font le choix de limiter leurs exportations.

Ne pas oublier la bataille du climat

Le ministre de l’Agriculture Julien Denormandie argue que l’Europe doit « assumer sa mission nourricière » en augmentant sa production et en allant reconquérir les marchés à l’exportation. Tout en continuant à « maintenir notre ambition environnementale ». Un « en même temps » qui prend toute son importance alors que le dernier rapport du Groupe d'experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (Giec), paru le 28 février, soit quelques jours après le début de la guerre en Ukraine, alerte une nouvelle fois sur la menace que pèse le changement climatique sur l’humanité.

Ce rapport rappelle que le changement climatique a ralenti la productivité agricole à l’échelle mondiale au cours des 50 dernières années. Selon les projections des experts, des pertes de production agricole substantielles sont attendues dans la plupart des régions européennes au cours du XXIe siècle et elles ne seront pas compensées par les gains de production en Europe du Nord. Le rapport reconnait clairement l’interdépendance du climat, de la biodiversité et des populations humaines.

Ce constat rappelle à quel point l’enjeu nourricier ne doit pas être décorrélé de l’enjeu environnemental. Au contraire : impactée par les crises à la fois climatiques et géopolitiques, l’agriculture doit plus que jamais tendre vers une diminution de sa dépendance aux énergies fossiles, un objectif qui répond à la fois à l’enjeu de souveraineté énergétique et à la lutte contre le changement climatique.

L’agriculture doit montrer qu’elle détient des solutions pour stocker du carbone, maintenir la biodiversité et protéger les sols. Car créer des écosystèmes plus résilients sera une solution à la fois face aux crises géopolitiques et face à la crise climatique.