« L'agriculture mérite d'être expliquée » : la mission sans relâche de Thierry Bailliet

Thierry Bailliet se départit rarement de son sourire. Volubile et chaleureux, il met tout de suite ses interlocuteurs à l’aise. Il faut dire que la communication est devenue, au fil des années, son deuxième métier. Sur Youtube, il cumule des chiffres impressionnants : 121 000 abonnés, 1350 vidéos et plus de 37 millions de vues, sous le pseudo « Thierry Agriculteur d’Aujourd’hui ». Avec ce sous-titre : « L’agriculture mérite d’être expliquée ». Et c’est ce à quoi Thierry Bailliet s’attèle, depuis une douzaine d’années, avec un rythme et une énergie prodigieuse.

Les racines d'un engagement

Douzième génération de Bailliet à Loos-en-Gohelle, dans le Pas-de-Calais, Thierry s’installe sur la ferme familiale en 1996. L’exploitation comprend 75 hectares de cultures et un centre équestre.

En 2013, il prend le virage de la bio sur une partie des parcelles, porté par la transition écologique impulsée par la mairie de la ville. La même année, un autre évènement va fortement impacter le cours de son existence. Il apprend que son fils a été moqué et harcelé durant l’année scolaire, au motif que son père est agriculteur. Très affecté, il décide de prendre publiquement la parole. Son arme ? La vidéo, car il s’y sent plus à l’aise qu’à l’écrit.

« Comment peut-on encore croire en 2013 que les agriculteurs sont des gens arriérés, retardés ? », s’indigne-t-il dans une séquence qu’il tourne en plein champ, les pieds bien campés dans ses bottes. Il expose aux internautes son projet : filmer son quotidien pour montrer au grand public la réalité de l’agriculture d’aujourd’hui, dans toute sa diversité et dans toute sa complexité, sans tabous.

Naissance d'un agri-influenceur

« Thierry Agriculteur d’Aujourd’hui » est né. Au rythme inlassable d’une vidéo par semaine, il filme les semis de blé, la récolte du foin, les arrachages de pommes de terre, explique la mesure du reliquat azoté, montre les épandages, les traitements phyto, fait la visite d’un tracteur… De temps à autre, il pousse des coups de gueule, comme celui contre les dépôts sauvages d’ordures sur ses parcelles, qui lui vaut un article dans la Voix du Nord. Sur les réseaux sociaux et dans les médias, sa notoriété grandit.

Sa célébrité et son bagout attirent les entreprises et institutions agricoles, qui lui proposent des partenariats rémunérés. Le voilà agri-influenceur. « Je suis un dinosaure parmi les influenceurs agricoles », rigole-t-il. Il fait en effet office de pionnier pour la jeune génération d’agriculteurs d’aujourd’hui, très active sur les réseaux sociaux.

Un entrepreneur aux multiples facettes

Entrepreneur dans l’âme, Thierry ne s’arrête pas là. « Je me suis dit : si je n’ai pas écrit un livre à 50 ans, j’ai raté ma vie », ironise-t-il. Il écrit donc Dans les bottes de ceux qui nous nourrissent (éditions France Agricole), dans lequel il dresse 10 portraits d’agriculteurs et d’agricultrices dans toute la France. Nous sommes en 2021 et l’épidémie de covid entraîne l’annulation du salon de l’agriculture de Paris, ainsi que les évènements prévus pour la promotion de son livre. Qu’à cela ne tienne, en collaboration avec l’association Cofarming, il décide de faire un tour de France en tracteur, à la rencontre des professionnels du monde agricole et du grand public, récoltant au passage de nombreux articles dans la presse locale.

Il co-fonde également Les Black Moutons, une agence de marketing et de communication spécialisée dans le milieu agricole, « car nous devons nous emparer de la communication. Il ne faut pas avoir peur du mot marketing », argue-t-il.

Un « Airbnb agricole »

Dernier projet en date : le développement de l’application « Dans les bottes », une plateforme permettant au grand public de réserver des créneaux pour vivre une expérience à la ferme (visite, dégustation, traite, atelier de fabrication, nuit à la ferme…). « C’est une sorte de Airbnb agricole », explique celui qui n’a pas peur de viser haut. Avec toujours cette même mission : renforcer les liens entre le monde agricole et le grand public.

Parmi les influenceurs agricoles, il est l’un des seuls à avoir professionnalisé cette activité. Pas moins de quatre jeunes en alternance travaillent ainsi avec lui pour l’épauler dans le montage des vidéos ou pour la communication autour de l’application.

Insatiable, se verrait-il exercer davantage de responsabilités ? « Plutôt à l’échelle locale », soutient celui qui se définit comme « apolitique ». De 2016 à 2020, il a présidé la FRCuma des Hauts-de-France, après avoir été président de sa Cuma locale pendant 10 ans.

Entrepreneur, influenceur, communicant… mais toujours agriculteur, même s’il passe peu de temps sur sa ferme. Pour faire tourner l’EARL Bailliet, il peut compter sur sa femme, Anne-Sophie, ainsi que sur son fils Emilien, installé en 2019 sur une exploitation voisine, d’une surface équivalente. Sur 150 hectares, l’exploitation emploie trois salariés pour la partie cultures, deux pour les écuries, ainsi que des saisonniers.

Le pari du bio et la transmission

Et sur la ferme non plus, les projets ne manquent pas. Dans un contexte difficile pour l’agriculture biologique et alors que le nombre de déconversions augmente, l’exploitation des Bailliet compte 60 hectares en bio, et commence à convertir de nouvelles parcelles.

« Nous sommes en expansion sur les légumes bio à haute valeur ajoutée, comme le navet, le céleri, la betterave rouge, la pomme de terre… Il y a de la demande de la part de notre coopérative », explique Thierry, en arpentant un champ de poireaux prêts à être récoltés. Sous le ciel gris du nord, sa tenue orange fluo illumine la plaine. Au volant du tracteur, son fils Emilien gère les arrachages. Récemment, le jeune homme a enregistré sa première vidéo, mise en ligne sur la chaîne de son père. A tous points de vue, la relève est assurée !