« L’aide aux petites fermes peut préfigurer un futur système reposant sur l’actif agricole »

La Confédération paysanne réclame un renforcement du paiement redistributif assorti d’une aide forfaitaire annuelle de 5000 euros pour les petites fermes. Pour Nicolas Girod, porte-parole du syndicat, l’aide aux petites fermes donnerait indirectement un coup de pouce aux exploitations des zones intermédiaires. Interview.

Qu’entendez-vous par petites fermes ?

En 2002, le Conseil supérieur d’orientation a défini les petites fermes selon des critères de chiffre d’affaires et de montants d’aides de la Pac afin de mettre en place un Contre territorial d’exploitation petites fermes dans le cadre du second pilier. Nous revendiquons toujours des dispositifs spécifiques dans le second pilier de la Pac,. Le règlement de la prochaine Pac prévoit la possibilité de mettre en œuvre un paiement forfaitaire pour les « petits agriculteurs », ce que la Confédération paysannne réclame. Pour tous les paysans qui sont aujourd’hui les oubliés de la Pac, ce dispositif permet d’attribuer un paiement forfaitaire. Il ne concerne pas uniquement les très petites exploitations en chiffre d’affaires, comme celle par exemple de Gwenaël Le Floch maraicher chez qui nous avons reçu récemment Julien Denormandie, mais également des éleveurs de volailles ou encore des paysans boulangers qui valorisent de petites surfaces.

Les petites fermes ne sont-elles pas ciblées par le paiement redistributif ?

Nicolas Girod : l’aide de 50 € /ha sur les 52 premiers hectares n’a pas l’effet de levier suffisant pour soutenir efficacement les petites fermes, d’autant plus que la ponction induite sur les aides du 1er pilier induit mécaniquement une aide en réalité inférieure à 50 €/ha. En 2014, Stéphane Le Foll s’était engagé à doubler le paiement redistributif dès la seconde année de la programmation de la Pac car la France s’était donnée la possibilité de consacrer 20% des aides du 1er pilier au paiement redistributif, ce qui aurait abouti à 100 €/ha. Ni lui ni aucun autre ministre n’ont agi dans ce sens. Avec la clause à 30%, le règlement Pac aurait même permis d’aller jusqu’à 150 € dans le cas de la France. Pour une ferme qui cultive moins de 10 ou 20 hectares, ce paiement redistributif n’est pas significatif.

Une petite ferme dans le Béarn (Crédit photo : R. Lecocq)
Une petite ferme dans le Béarn (Crédit photo : R. Lecocq)

Qu’attendez-vous du paiement redistributif pour la prochaine Pac ?

Nicolas Girod : nous souhaitons qu’il concentre 20% des aides du 1er pilier, avec l’instauration d’un premier palier autour de 30 ha à 35 ha, destiné corriger les insuffisances du système actuel, aux côtés d’un second palier à 52 ha. Un paiement redistributif à 100 €/ha sur les 52 premiers hectares améliorerait la situation des fermes comptant jusqu’à 90 ha. Cependant, un tel système laisserait encore de côté les oubliés de la Pac. C’est pour cette raison que nous demandons l’instauration d’une aide forfaitaire aux petites fermes, que le règlement de la Pac autorise et que quatre pays que sont la Bulgarie, l’Italie, la Roumanie et la Portugal mettent en œuvre.

A combien s’élèverait l’aide forfaitaire aux petites fermes ?

Nicolas Girod : nous demandons une aide de 5000 € assortie de la transparence Gaec. On estime entre 60.000 et 80.000 le nombre d’exploitations agricoles qui perçoivent très peu de soutien ou qui n’en font pas la demande car les montants en jeu ne couvriraient pas les frais ou le temps nécessaire à monter le dossier. Ce sera aussi un dispositif qui réduira les formalités administratives, aussi bien pour les paysans que pour l’Administration.

Comment vos demandes « petites fermes » sont-elles reçues par le ministre de l’Agriculture ?

Nicolas Girod : le ministre nous a envoyé un signal positif en répondant à notre invitation sur une petite ferme d’Ille-et-Vilaine dans le cadre de notre « salon à la ferme », une ferme en maraichage diversifié qui génère 5 emplois sur 1 hectare et qui est en-deçà du seuil de 400 € pour pouvoir prétendre aux aides. C’est dérisoire voire blessant. Le ministre se réfugie derrière des arguments techniques et financiers, invoquant la fragilité de de certaines filières ou de certains territoires comme les zones défavorisées ou encore son souci de ne pas opposer les modèles. Mais fait-on autre chose en laissant de côté autant de petites fermes ?

Petite ferme maraichère dans le Bourbonnais (Crédit photo : R. Lecocq)
Petite ferme maraichère dans le Bourbonnais (Crédit photo : R. Lecocq)

Les conclusions du débat ImPACtons peuvent-elles appuyer vos revendications ?

Nicolas Girod : en termes de justice sociale et écologique, les conclusions du débat sont cohérentes et intéressantes mais le ministre n’est pas tenu de les suivre. On risque le même effet « pschitt » que la Convention citoyenne sur le climat. Les consommateurs, les gens qui vivent à nos côtés dans les territoires sont concernés par nos pratiques. L’ensemble de la société appelle de ses vœux à des transitions agricoles mais le ministre risque de répondre à une infirme partie de la population qu’est la fraction majoritaire de la profession agricole.

L’aide aux petites fermes ne présenterait-t-elle des risques de dévoiement ?

Nicolas Girod : qui se pose la question des pratiques de dévoiement lorsque des agri-managers qui multiplient les sociétés pour optimiser toutes les opportunités ou qui accumulent des hectares et qui ne sont plus agriculteurs ? S’agissant des petites fermes, il est facile de définir leur activité agricole au travers de l’Activité minimum d’assujettissement à la MSA. En outre, les petites fermes seraient assujetties aux règles de conditionnalité et exposées à des contrôles comme tous les bénéficiaires de la Pac. L’aide aux petites fermes peut préfigurer un futur système reposant sur l’actif agricole.

Ajoutée aux éco-régimes, l’aide aux petites fermes n’achèverait-elle pas de siphonner le 1er pilier ?

Nicolas Girod : il ne faut pas opposer l’architecture environnementale et sociale de la Pac. Ce qui siphonne le premier pilier, ce sont les fermes de plus en plus grandes qui captent les hectares et les aides à la surface sans produire de valeur ajoutée. Un tableau figurant dans le projet de diagnostic publié par le DGPE en février 2020 en vue du Plan stratégique national démontrait que les petites fermes créent de la valeur et de la dynamique dans les territoires. 5000 euros, ce n’est pas un revenu mais c’est une reconnaissance de cette utilité collective.

Qu’attendez-vous des éco-régimes ?

Nicolas Girod : il ne faut pas que ce levier soit un dispositif déguisé de redistribution des aides comme l’a été le paiement vert, mais qu’il serve réellement des ambitions environnementales et climatiques, avec des critères contraignants. Les aides du 2ème pourraient permettre de soutenir les exploitations exclues des éco-régimes en début de programmation de façon à les rendre progressivement éligibles jusqu’à la fin de la programmation.