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« L’assurance récolte, une assurance resemis avant tout »
A Vaudeville-le-Haut et Vouthon-Bas (Meuse), Pascal et Mathieu Robert sécurisent leurs semis de colza grâce à l’assurance récolte, qui leur offre une seconde chance. Mais le semis direct et l’ACS, ainsi que les ateliers de bovins allaitants et poulets, constituent d’autres gages de résilience et de durabilité.
« Une chose est sûre, le colza ne va pas germer dans les sacs ». En ce 1er août, Mathieu Robert a bon d’espoir de voir les orages s’inviter en post-semis de colza. Le jeune agriculteur a pris la décision d’en semer 50 hectares, surface cumulée de son exploitation de 110 hectares et de celle de son père Pascal, exploitant 130 hectares à Vouthon-Bas (Meuse). « Nous sommes à 55 €/ha de tracteur, semoir et main d’œuvre, 40 €/ha de semence de colza, 25 €/ha de féverole associée, 40 €/ha d’engrais, égraine-t-il. A raison de 3 t/ha à 700 €/t, je pense que notre assureur préfère nous voir déclencher l’assurance pour un resemis à 160 €/ha plutôt qu’à la récolte ».
Orages ou pas, attaques d’altises ou pas, les deux producteurs feront le bilan au 1er décembre et si le colza doit sauter, ce sera au profit du pois ou d’autres cultures, peut-être du tournesol, jusque-là absent de l’assolement. L’assurance récolte leur coûte 40 €/ha, subvention Pac incluse. « Une mauvaise année vous paie dix ans de cotisations, donc l’assurance récolte, c’est obligatoire », tranche Mathieu.
Sur les récoltes 2022, l’assurance a déclenché sur le pois mais pas sur le blé. En dépit de la hausse des cours, il est resté au seuil de 180 €/ha sur blé. En 2019, l’assurance avait sauvé la mise en colza, avec des rendements de 13 q/ha et 16 q/ha sur les deux exploitations. La logique consistant à semer dans le sec indépendamment de la météo prévaut aussi pour les couverts végétaux, « à ceci près qu’il n’y a pas d’assurance récolte pour les couverts », précise Mathieu.
Les exploitations sont en agriculture de conservation des sols (ACS) depuis 2014 pour Pascal, détenteur du label « Au cœur des sols » de l’Apad, et 2018 pour Mathieu (date de son installation), une démarche initiée dans le cadre du GIEE Magie réunissant dix exploitations sur 1500 hectares, le tout adossé à la Cuma de Gondrecourt (Meuse). Elle a permis à ses membres d’investir dans trois semoirs directs de 6 mètres, de bénéficier de l’appui d’experts (Frédéric Thomas, Konrad Schreiber) et d’avancer collectivement.
A titre individuel, les exploitants s’offrent aussi les services d’AgroLeague et de LVMH. « Un : on ne ferait pas machine arrière. Deux : on n’a pas perdu en rendement. Trois : on compresse les charges, analyse Pascal Mathieu. Les couverts, c’est la base en ACS mais on n’a rien inventé, mes grands-parents faisaient déjà des orges-choux ». Le cumul des semis de colza et de couverts s’élève à 150 hectares sur les deux exploitations, dont 85 hectares pour les seuls couverts.
Mathieu et Pascal auraient bien aimé les semer derrière la moissonneuse-batteuse pour leur donner des garanties de levée. Mais entre la moisson, le stockage des grains, l’enlèvement de la paille et les télescopages de chantiers de semis au niveau de la Cuma, les couverts en ont fait les frais et se retrouvent dans le sec, en cette année de sécheresse, malgré le renfort précieux de Thomas, apprenti en BTS et complétant les deux UTH.
Pas très grave. Et pas seulement du fait de l’assurance récolte. « Avec la luzerne, les prairies temporaires et les méteils, qui font entre 8 et 10 t/ha de matière sèche, et autant en racinaire, qui nous ramènent phosphore, potasse et soufre, c’est la faucheuse et nos Salers qui conditionnent la rotation », argumente le jeune agriculteur. « Le méteil, c’est le meilleur anti-vulpin », précise son père. Comme quoi, en ACS, en bio ou en conventionnel, on n’a encore pas trouvé mieux que cette bonne vieille polyculture-élevage... A condition de pouvoir compter sur le glyphosate, en ACS. « Je pense qu’on va le sauver, devise Pascal Robert. Mais il sera plus cher, on est déjà passé de 3 € à 12 € les 450 g et 17 € les 780 g. Du temps de mes parents, c’était le désherbant le plus cher du marché, c’était un investissement ». C’était avant la surexploitation et la surexposition
Revenons à nos poulets. Outre les Salers, Mathieu exploite aussi un poulailler issu du rachat de l’exploitation à l’origine de son installation. Il produit cinq bandes annuelles de 16 500 poulets de 50 jours. « A 16,7 centimes de marge sur le poulet rendu à l’abattoir, on se console en se disant que l’on a du bon fumier, ironise-t-il. Mais on ne renonce pas comme ça sur 20 000 € d’EBE et 180 000 € de chiffre d’affaires, avec la ferme à payer ». Au-delà des enjeux financiers, ce type d’atelier ne correspond pas totalement à sa conception de l’élevage. Déjà engagé dans la vente directe d’une partie de ses Salers de réforme, l’éleveur a testé la vente directe de poulet. Essai concluant. « A 13 € par volaille, je réaliserais la même marge avec 250 poulets en vente directe qu’avec une bande de 16 500, déclare-t-il. Mais la vente directe, entre l’élevage, la découpe, le démarchage, les livraisons, c’est 35 heures par opération ».
Les seuils de rentabilité sur le bout des doigts
Ce qui détonne un tant soit peu chez le jeune polyculteur-éleveur-vendeur, c’est la dextérité avec laquelle il manie les chiffres en général (comme l’illustrent les 16,7 centimes de marge par poulet) et les seuils de rentabilité en particulier. « Je dois sortir 300-330 kg/ha de carcasse pour avoir un seuil de rentabilité de 3 €, explique-t-il. En blé, avec 70 t/ha à 100 €/t, je paie les fournisseurs avec la Pac mais sans mon salaire. A 130 €/t, je paie les fournisseurs sans la Pac. A 150 €/t, je paie les fournisseurs et je prends mon salaire sans la Pac ». Avec des prix et rendement moyens de 240 €/t et 70 q/ha sur la récolte 2022, la Ferme du Rondiaux s’en sort plutôt bien, d’autant plus que l’exploitation s’était couverte en azote pour les campagnes 2022 et 2023 à 0,7 € l’unité.
Cette appétence pour les chiffres tient à la fois de l’héritage familial, de la formation (BTS à Pixerécourt en Meurthe-et-Moselle), de stage en exploitation (notamment chez Sylvere Adam dans les Vosges), d’une expérience de commercial chez Néolait et enfin de sa compagne salariée d’un centre de gestion. On vous épargne les chiffres sur les matériels en copropriété. Mathieu ne connaît pas seulement tous ses indicateurs économiques : il les communique allègrement. « Je partage les chiffres car c’est la seule façon d’avancer ».