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Le prix du vin, le grand abstinent de la crise viticole
Au-delà des enjeux climatiques et sociologiques, qui pèsent sur la production et sur la consommation, la filière viticole butte sur la création de valeur alors qu’une larme de 10 centimes au verre pourrait éviter une hémorragie du vignoble, selon des représentants professionnels de l’Hérault, réunis à Dionysud.
Didier Gadea, viticulteur à Montagnac et président du Modef de l’Hérault : « En 1998, on me payait le merlot 84€/hl avec 6€/hl de frais de vinification. Aujourd’hui on me le paie 70€/hl avec 18€/hl de frais de vinification ». Pascal Marié, vigneron à Puilacher et trésorier de la Coordination rurale de l’Hérault. « Sur les 10 ans passés, le prix moyen des IGP du Languedoc a baissé de 15% alors que les charges ont augmenté de 35 à 40% et le point mort, qui était à 50hl/ha, il est désormais de 70hl/ha, le tout dans le contexte climatique que l’on connait ».
« Le contenant est devenu plus cher que le contenu »
Thierry Arcier, vigneron à Saint-Pargoire (Hérault), et co-porte-parole de la Confédération paysanne de l'Hérault. « Ce que l’on traverse, ce n’est pas une crise puisque ça se casse la figure depuis 50 ans ». Guilhem Vigroux, viticulteur à Villeveyrac (Hérault) et secrétaire général (FDSEA) de la Chambre d’agriculture de l’Hérault. « Le contenant est devenu plus cher que le contenu ».
A l’occasion d’un débat impromptu organisé au salon Dionysud à Béziers (Hérault), des responsables professionnels du département ont débattu de la crise viticole qui sévit, dans le Midi, et bien au-delà. Pour s’en convaincre, il n’est que de rappeler les 200 millions d’euros alloués en 2023 à la distillation pour soulager les cuves et les cours, les 38 millions d’euros alloués à l’arrachage dans le bordelais, les 40 millions d’euros d’indemnisation des impacts de la grêle en plus de l’indemnité de solidarité nationale et enfin les 120 millions d’euros négociés par la France à Bruxelles pour réduire le potentiel viticole, moyennant une aide maximale de 4000€/ha.
Dans les quatre départements du Languedoc-Roussillon, qui concentrent environ un quart du vignoble national, on redoute la casse du siècle. Et pour cause. « On a des viticulteurs qui produisent et qui n’arrivent pas à vendre mais il y a ceux qui ne produisent plus comme cette année dans l’Aude et les Pyrénées-Orientales avec des récoltes de 500 kilos par hectare », souligne Guilhem Vigroux.
Prix garantis, prix de référence, Egalim à la mode viti ?
Pour la Conf’, « quand les producteurs ne sont pas maîtres des prix, ce sont les metteurs en marché qui dirigent et qui paient 10 centimes le verre de vin aux producteurs, sans tenir compte des coûts de production. Il faut des prix rémunérateurs garantis par l’Etat et des quotas de production par actif ».
« Si tu travailles pour 7 centimes le verre, tu peux faire tout ce que tu veux, tu crèveras sur ton exploitation »
Même son de cloche au Modef, qui veut réécrire et inscrire dans l’article 632-1 du Code rural, relatif aux interprofessions, la notion de prix minimum garantis ou de prix de référence. « Il ne faut pas se demander si c’est possible ou pas, c’est comme si on demandait au pendu de s’adapter à la corde. Les prix garantis par l’Etat, la première démocratie à les avoir mis en place, c’est les Etats-Unis après la crise de 1929. Si tu travailles pour 7 centimes le verre, tu peux faire tout ce que tu veux, tu crèveras sur ton exploitation ».
« On peut décréter que le vin sans IG vaut 100€/hl mais on fait quoi du reste ? »
Côté FDSEA, on est davantage perplexe. « On peut décréter que le vin sans IG vaut 100€/hl, énonce Guilhem Vigroux. Mais on fait quoi du reste ? Et on interdit aux metteurs en marché de s’approvisionner en Espagne en vin sans IG que l’on ne trouve pas en France mais que l’on est capable de produire ? Sauf qu’en France, on fait d’abord le plein des AOP, puis des IGP et s’il en reste on fait des vins sans IG ». Pour la FDSEA, une partie de la réponde se situe dans la segmentation et la contractualisation à long terme avec le négoce.
Egalim à la mode viti ? Pas question pour la CR pour laquelle « c’est déjà compliqué en élevage alors en viticulture… », qui préfèrerait une abrogation de la loi Evin. « Avec cette loi, est impossible de communiquer correctement et de créer un climat favorable à la consommation d’un produit naturel, agricole, qu’est le vin, assimilé jusqu’à une drogue », plaide Pascal Marié, qui veut aussi en finir avec les traités de libre-échange multilatéraux « car à chaque fois c’est l’agriculture qui en fait les frais », au profit de traités bilatéraux. La CR34 en attend également plus de l’Etat contre « l’oligopole » des centrales d’achat. « Quand on nous dit, "la bouteille à2,99 euros, je ne peux pas la mettre à 3,50 euros sinon mon linéaire ne tourne pas", c’est faux ».
L’arrachage rime avec clivage
L’arrachage ne fait pas davantage l’unanimité. A la FDSEA, on regrette que la mesure d’arrachage définitif ait précédé la mesure, encore hypothétique, d’arrachage temporaire pour préserve le potentiel viticole, en attendant, le retour, pas moins hypothétique, d’une conjoncture propice. A la CR, on réclame non pas 120 millions d’euros mais un milliard d’euros. « On réclame un arrachage massif de 100.000ha à 10.000€/ha, soit un milliard d’euros. On l’a bien mis pour que quelques personnes puissent se baigner dans la Seine. Là, on parle de sauver un secteur d’activité ». Pour le Modef, l’arrachage ne réglera rien. « On nous propose des arrachages, comme si on n’avait jamais fait ça, mais on a toujours fait ça et ça n’a rien réglé. Entre 2004 et 2024 on a perdu 20Mhl ».
« Avant les gens avaient deux récoltes d’avance derrière eux, aujourd’hui, ils ont deux récoltes en dette au banquier »
La Conf’ est sur la même ligne. « Ce n’est pas en arrachant 50.000 ou 60.000 ha que l’on va changer quelque chose car on continue à subventionner les plantations. On nous explique que les prix baissent à cause de la surproduction mais c’est totalement faux, il n’y a pas de surproduction au plan mondial. Avant les gens avaient deux récoltes d’avance derrière eux, aujourd’hui, ils ont deux récoltes en dette au banquier. Doubler le prix payé au producteur, c’est 40 centimes sur la bouteille, donc ce n’est pas doubler le prix de la bouteille. Malheureusement, certains doublent leur marge à chaque fois. On a la viticulture la plus compétitive avec les vins les moins chers de France ». Et de regretter que Castel Frères, « numéro un ou deux mondial », présent à Béziers, n’ait pas envoyé à Dionysud « un cariste pour dire comment il fixe le prix et dans quel but ».