Les agricultrices peinent encore à creuser leur sillon comme cheffes d'exploitation

"Il faut s'accrocher, ne jamais baisser les bras" : à l'image d'Aurélie Léger, céréalière dans la Vienne, les femmes agricultrices se sont fait une place à la tête des exploitations. Mais leur nombre stagne depuis quelques années, la faute, selon certaines d'entre elles, à un déficit de communication autour du métier.

Après une forte augmentation au début des années 2000, "depuis dix ans, on tourne autour de 24-25% et ça ne bouge pas beaucoup d'un point de vue effectifs de cheffes d'entreprises", explique Marc Parmentier, de la direction statistiques de la MSA. "Le métier a une image dure, plutôt négative : la pénibilité au travail, les heures de travail, (peu de) temps familial... Mais il faut nuancer ce qu'on peut entendre à la radio ou à la télé", estime Aurélie Léger avec ses 400 hectares de cultures, lorsqu'on l'interroge sur les réticences que peuvent éprouver des femmes à venir chausser les bottes.

C'est l'agronomie qui lui a donné "l'envie de passer de l'autre côté" et le départ en retraite de son parrain lui a fourni "l'opportunité". "C'était l'occasion pour moi de mettre en pratique ce que j'avais appris", explique cette ancienne chargée de mission en Chambre d'agriculture.

Aurélie Léger cultive notamment du blé selon le cahier des charges de la filière CRC (culture raisonnée contrôlée). Lundi 8 mars, pour la journée internationale des droits des femmes, elle participait à une conférence organisée par le Collectif de la troisième voie des filières agricoles responsables, fédérant cinq démarches qualité : Bleu Blanc Cœur, CRC, Demain la Terre, Vignerons engagés et Mr. Goodfish. "Pour être une femme agricultrice aujourd'hui, il faut s'accrocher, témoigne-t-elle, avouant par exemple avoir sous-estimé le temps passé à l'entretien et la réparation du matériel. J'ai l'impression qu'il faut faire le double de travail pour arriver au même résultat".

Aurélie Léger (en haut à gauche) participait le 8 mars à la conférence "Agricultrices et pêcheuses : femmes au coeur de la transition durable"
Aurélie Léger (en haut à gauche) participait le 8 mars à la conférence "Agricultrices et pêcheuses : femmes au coeur de la transition durable"

Les agricultrices participant à cette conférence ont quasiment toutes exercé d'autres métiers avant de s'installer. "Il n'y a pas besoin d'être du métier, il faut juste être passionnée", déclare Florence Haffner, éleveuse de porcs en Meurthe et Moselle et engagée dans la démarche Bleu Blanc Coeur. "Etre passionnée", "avoir beaucoup de caractère", donner de son temps", "ne pas se préoccuper du regard des autres" ou encore "bien s'entourer et être soutenue" sont les conseils que donnent ces femmes à celles ayant envie de s'installer. "Il faut savoir que ça va être difficile, mais si on en a envie, il faut foncer", déclare Reinette Michon, pêcheuse dans la Somme.

Parfois, Aurélie Léger doute et a besoin de partager ses interrogations avec d'autres femmes. Alors elle a rejoint un groupe exclusivement composé d'agricultrices et de femmes d'agriculteurs, Pause Café (Café pour convivialité, agriculture, festivités et échanges). "On a monté ce groupe pour se rencontrer et être plus fortes dans le métier, pour communiquer sur ce qu'on fait au quotidien, (...) sur la féminisation de l'agriculture", explique-t-elle. Au menu, réalisation de calendriers fantaisie où elles mettent en valeur leur personne et leur activité, de paniers garnis composés de produits de la ferme d'agricultrices, etc.

Progression dans les lycées agricoles

Une manière de militer également pour pouvoir se vêtir autrement et ne plus flotter dans des combinaisons de protection destinées aux hommes. Les équipements pensés pour les hommes, c'est également le cas des tracteurs. Jacqueline Cottier, éleveuse en Maine-et-Loire et présidente de la Commission nationale des agricultrices (CNA) à la FNSEA depuis 2014, est allée militer au salon du machinisme agricole il y a deux ans, notamment pour éviter "les cabines de tracteurs très hautes" : "ça évolue", dit-elle.

Afin d'éviter ce type d'écueil, un peu plus de femmes dans des instances de décision encore majoritairement masculines ne serait pas un mal. "Le fait que les femmes soient moins représentées dans les instances où on décide, ça freine l'évolution de l'agriculture - une évolution qui serait plus favorable à la présence des femmes dans les fermes", explique Véronique Marchesseau, éleveuse de vaches laitières dans le Morbihan et secrétaire générale de la Confédération paysanne.

Elle reconnaît qu'"il y a de l'amélioration". "Mais on n'est pas à une réelle parité de la prise en charge de la sphère domestique et quand on doit s'occuper des enfants, de la maison, en même temps qu'une ferme, il faut forcément que le travail sur la ferme soit pensé en conséquence, qu'on puisse dégager du temps", déclare-t-elle.

C'est pourquoi il faut "une évolution de l'agriculture", plaide Véronique Marchesseau. "Qu'on ne soit pas obligé de bosser comme des damnés et passer quinze heures par jour sur sa ferme pour pouvoir se tirer un revenu et pour pouvoir faire correctement tout ce qu'on a à faire à côté..."

Jacqueline Cottier insiste sur les choix difficiles souvent faits au détriment des femmes dans les couples d'agriculteurs : "Quand il y a un problème économique durable et grave sur l'exploitation, c'est l'agricultrice qui part et va travailler à l'extérieur, la plupart du temps".

Malgré tout, la relève n'est pas totalement découragée : entre 2010 et 2020, en filière production, principal accès à l'installation, la part des femmes dans les apprenants est passée de 33% à 38%.