Ma cantine va craquer ou l’impossible montée en gamme

[Edito] Portée notamment par la loi Egalim, la montée en gamme de la restauration collective est percutée de plein fouet par la hausse des prix des produits alimentaires. La fin de la dépréciation de l’alimentation n’est pas pour demain. Après « farm to fork », à quand « fork to farm » ?

Qui fournit 1,1 milliard de repas par an à 2,78 euros le coût matière pour une entrée, un plat, un produit laitier et/ou dessert ? La restauration scolaire. Selon le ministère de l’Agriculture, environ 75% des 12,9 millions d’élèves mangent au moins une fois par semaine dans l’une des 100 000 cantines scolaires, et 60% y mangent au moins quatre fois par semaine. Et selon une enquête de l’Association des maires de France (AMF) réalisée en 2020, le coût moyen global d’un repas s’établit à 7,63 euros, avec comme premières composantes le coût du personnel (3,46 euros), l’achat de denrées alimentaires (2,78 euros) et les charges d’exploitation (1,16 euros).

Qui paie la cantine ?

A quelques jours de la rentrée scolaire, les entreprises de restauration collective, qui gèrent 40% des cantines scolaires (contre 60% gérées en direct par les collectivités), réclament une hausse de 7% de leurs prestations, s’alignant de fait sur la hausse des prix à la consommation, de 6,1% sur un an selon l’Insee. La balle est dans le camp des collectivités qui, pour les deux tiers d’entre elles, supportent plus de 50% du coût de la cantine, le solde étant abondé par les familles et dans une moindre mesure par la Caf et l’Etat. La cantine scolaire fait largement l’objet d’une tarification sociale. Si elle permet de garantir à tous les élèves (ou presque) l’accès, plus que légitime, à des repas complets, sains et équilibrés, elle ne participe pas à inculquer la « vraie » valeur de l’alimentation. Et qui en paie le prix depuis des décennies ? Les agriculteurs, sous-rémunérés.

L’échec du chèque alimentaire

Depuis 2018 et la loi Egalim, l’Etat essaie de corriger le tir. Effectifs depuis le 1er janvier 2022 dans la restauration collective publique, les seuils de 50% de produits durables et de qualité, dont 20% de produits bio, seront étendus à la restauration collective privée en 2024. Depuis le 1er mars 2022, toute la restauration collective a l’obligation d’afficher l’origine de toutes les viandes, et plus seulement du bœuf, histoire de contrarier les 50% de viande d’import, aux standards parfois douteux, et qui gavent nos cantines. Malheureusement, ces avancées sont annihilées par l’inflation galopante, que la grande distribution grand chevalier blanc déjoue à coups de boucliers tarifaires, au mépris de la hausse des coûts subie par la production, au moment où la sécheresse risque de rendre exsangues de très nombreuses exploitations.

Quant à l’Etat, il apporte son obole à travers la Loi sur le pouvoir d’achat et ses dotations aux collectivités (568 millions d’euros) et son aide exceptionnelle de solidarité aux ménages (150€ par foyer + 50€ par enfant), laquelle se substitue au chèque alimentaire, perdu en rase campagne électorale. Dommage. Le chèque alimentaire aurait eu la vertu de retirer une arme à la guerre des prix et de participer à reconnecter l’agriculture et la société. Une sorte de « fork to farm » pour changer du « farm to fork », la stratégie européenne de « la ferme à la fourchette ».

A l’occasion du Conseil des ministres – de rentrée -, le président de la République a préparé les esprits à « la fin de l’abondance, la fin de l’évidence, la fin de l’insouciance ». Reste la providence.