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Mercosur : pourquoi la France n'impose-t-elle pas son droit de véto ?
[Edito] Proposé dès 1999, négocié jusqu’en 2019 puis signé, l’accord du Mercosur a ensuite été mis à l’arrêt à cause des exigences de l’Union européenne. Aujourd’hui, il revient en force sur le devant de la scène et pourrait même être ratifié début décembre. Il suffirait que la France exerce son droit de véto pour que l’accord soit bloqué. Alors, pourquoi cette carte joker ne fonctionnerait-t-elle pas ?
Il lui suffirait d’user de son droit de véto pour que l’accord reparte dans les limbes juridiques. Mais les pays membres de l’Union européenne, favorables à la ratification du traité (Allemagne et Espagne notamment), pourraient certainement contourner le droit de véto français par une scission de l’accord, séparant une partie commerciale d’une part, et une partie politique d’autre part afin d'accélérer le processus. Le vote serait soumis au Conseil de l’Union européenne et validé à la majorité qualifiée. Si elle imposait son véto dès maintenant, la France risquerait de se mettre en difficulté avec les autres Etats membres de l’UE, tant sur le plan économique que politique.
Le risque de perte d’influence pour la France : bien positionner ses pions au sein de l’Europe
C’est du moins ce que laissait entendre le président Emmanuel Macron, le 17 novembre à Buenos Aires : « Paris ne signera pas en l’état ». Par-là, il insinue que la France s’opposera à l’accord tant que des normes adéquates ne seront pas imposées. Il ouvre également une brèche pour ceux qui souhaitent bloquer l’accord et rallier d’autres pays. Bien que la France soit fermement opposée à la ratification du traité, elle cherche des alliances et fait preuve de prudence, car elle se sait très isolée au sein de l’Union.
Pour empêcher que la partie commerciale d’une éventuelle scission soit acceptée et provisoirement appliquée comme le CETA (accord avec le Canada), la France doit constituer une minorité de blocage avec 4 pays représentant 35 % de la population de l’UE. Pour l’instant, elle ne peut compter que sur la Pologne et l’Italie. L’Irlande et l’Autriche ont exprimé des réserves mais préfèrent ne pas dévoiler leurs cartes trop tôt, au risque de perdre de l’influence plus tard. Ces alliances doivent se former avant que la proposition de scission n’arrive (à grande vitesse).
Est-ce perdu d’avance ?
L’Union Européenne étant également isolée dans un contexte géopolitique mondial tendu, il y a - pour l’instant - peu de chances que l’accord ne soit pas ratifié. La France espère donc imposer des garanties pour protéger son agriculture, notamment en ce qui concerne ses normes environnementales et sanitaires. Elle souhaite mettre en place des clauses miroirs strictes. Dans ce contexte, on comprend mieux pourquoi la France ne fait pas barrage immédiatement. Le Mercosur c’est non, ou alors, avec des conditions.
Rappelons qu’en cas de scission, la France ne peut pas imposer son droit de véto sur la partie commerciale. Mais, il reste un petit espoir que l’accord soit présenté dans son intégralité sans scission. La France pourrait alors s’opposer seule à la ratification.
C’est un véritable imbroglio juridique, stratégique et diplomatique. Pour une fois, les manifestations agricoles pourraient jouer en faveur de la France, comme un moyen de pression. « Regardez ce qu’il se passe chez moi ; je n’ai pas le choix ; attendez-vous à la même chose chez vous ».
Le Brésil se taille la part du lion
La course à la ratification et les conséquences sur notre agriculture occupent le devant de la scène. Mais tapi dans l’ombre, le Brésil se frotte les mains. En effet, le pays est à la fois membre du Mercosur (bloc économique d’Amérique du Sud fondé en 1991 comprenant l’Argentine, le Brésil, le Paraguay et l’Uruguay et représente plus de 80 % du PIB sud-américain), mais aussi membre des BRICS+ (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud ainsi que les Emirats arabes unis, l’Egypte, l’Ethiopie et l’Iran), représentant environ 26 % du PIB mondial.
En tant que deuxième exportateur mondial de produits agricoles et agroalimentaires, le Brésil serait le grand gagnant si le traité était ratifié au mois de décembre. Il bénéficierait ainsi d’échanges privilégiés avec l’Union Européenne, en plus de ceux avec les pays du Mercosur et ceux des BRICS+.
De plus, la Russie a annoncé fin octobre à Kazan l’élaboration d’une plate-forme privilégiée d’échanges de grains entre ses pays membres (BRICS+) où le Brésil exercerait une forte influence grâce à sa puissance agricole. Une sorte de marché commun donc. Par conséquent, le Brésil serait sur tous les fronts pour exporter ses produits.
Cependant, il est peu probable que la Russie voit d’un bon œil ce rapprochement entre le Brésil et l’Union européenne. Elle pourrait interpréter ce renforcement économique comme un rapprochement significatif avec l’Occident. Le Brésil deviendrait alors le point d’équilibre entre l’Ouest et l’Est, entre médiation et ambiguïté.