Négociations commerciales : les 9 propositions de Serge Papin

Dans son rapport de mission post-EGAlim, le médiateur Serge Papin propose notamment de sanctuariser le prix des matières premières agricoles entre agriculteurs et transformateurs, un prix basé sur des indicateurs de coût de production et non négociable par les distributeurs.

En octobre 2020, Julien Denormandie, ministre de l’Agriculture et Agnès Pannier-Runacher, ministre déléguée chargée de l’Industrie, confiaient à Serge Papin une mission d’intérêt général destinée à renforcer la loi EGAlim. Cinq mois et une soixantaine d’auditions plus tard, l’ancien PDG de Système U rend sa copie aux ministres, sous la forme de neuf recommandations. « L’appareil agricole est la variable d’ajustement des prix, a déclaré Serge Papin au micro de France Info, à la veille de remettre son rapport. Je propose de sortir du rapport de force dans lequel l’agriculture est le maillon faible ».

"Les distributeurs ne pourront plus négocier la part agricole"

La première proposition s’attaque au « dur », c’est à dire à l’établissement des prix. « Le prix des matières premières agricoles sera arrêté dans un contrat passé entre les agriculteurs et les industriels de la première transformation, détaille Serge Papin. Le prix sera fixé à partir d’indicateurs de coûts de production et dans la suite de la négociation entre les industriels et les distributeurs, les distributeurs ne pourront plus négocier la part agricole, qui sera en quelques sorte sanctuarisée et qui ira bien dans la cour de ferme (...). On va avoir une garantie du prix payé à l’agriculteur par rapport à sa matière première et c’est à partir de là que l'on va reconstruire le prix ».

Le médiateur propose la signature de contrats pluriannuels pour sortir du « rapport de force », où l’agriculteur est « menacé chaque année d’une remise en cause » et s’inscrire dans « le temps long, dans un dialogue encadré, que on pourrait appeler la théorie du contrat. Le contractualisme, c’est non seulement un papier avec un cadre juridique mais c’est aussi un état d’esprit ».

S’agissant de l’impact sur les prix à la consommation, « s’il y a des augmentations, ça sera dans l’épaisseur du trait, affirme-t-il. On parle d’un ou deux centimes sur le lait, de trois à quatre centimes à la portion sur les légumes ou les protéines animales, voilà le sujet ».

Pour changer la donne, Serge Papin formule neuf recommandations, dont voici le détail :

1- Garantir la « marche en avant du prix » dans un cadre pluriannuel

Le contrat entre l’agriculteur et le premier transformateur doit être le fil conducteur de la négociation finale.

Le principe de la contractualisation des matières premières agricoles dans le cadre du contrat commercial est avant tout celui du contrat entre le producteur et l’industriel de première transformation. Il faut rendre ce dernier obligatoire, ce qui n’est pas le cas aujourd’hui, car c’est au titre du premier contrat que le producteur est rémunéré par l’industriel de première transformation.

Le prix doit être établi à partir d’une référence validée par les deux acteurs et basée sur une référence de prix acceptée par les deux parties. Cette référence pourra prendre appui sur les indicateurs de coûts de production interprofessionnels ou l’indicateur de FranceAgriMer. Je recommande de faire auditer ces indicateurs de prix par un auditeur privé afin d’en valider le caractère universel, objectif et indiscutable. Ils doivent être légitimes et crédibles.

Ces indicateurs de prix de référence devront prévoir des clauses mécaniques d’indexation du prix basées sur la hausse ou la baisse des intrants qui ont un impact sur le prix de la matière première agricole. Les indexes existants doivent être référents pour les principales matières agricoles.

En conséquence, dans le contrat commercial aval, la quote-part du prix de la matière première agricole doit figurer comme un élément non-négociable. C’est bien le prix de cette quote-part de matière première agricole qui serait non-négociable. De ce fait, il implique la transparence sur le prix payé par le premier transformateur au producteur au moment de la signature du contrat commercial. Ce prix pourrait même figurer à part sur les factures.

La mention du prix de la matière première agricole garantit ainsi pour les autres niveaux de négociation une « bonne fin » du prix « cour de ferme », celui payé à l’agriculteur. J’insiste sur le fait que le périmètre retenu est bien celui des produits alimentaires de première transformation ou à forte composante de matière première agricole, tels que la charcuterie et la boulangerie.

Ce premier contrat sera le contrat référent pour le prix « cour de ferme » et devra être assorti d’une pluri-annualité contractuelle. Et ce autant pour le maillon amont (producteur/première transformation) qu’aval (transformateur/distributeur).

Je recommande ainsi aux parties prenantes la conclusion de contrats pluriannuels. La durée serait de trois ans renouvelables et pourrait même s’étendre à six ans en cas d’investissements industriels importants, afin d’assurer l’amortissement et de gagner en productivité.

Ce nouveau cadre permettra de faire naitre des stratégies de coopération et non plus d’opposition et de conjuguer compétitivité et répartition de la valeur sur le long terme.

Il est probable que cette recommandation phare nécessite de repasser par la loi. Il faut tenter d’aller vite car les attentes sont élevées.

2 - Tendre vers davantage de transparence dans les relations commerciales en expérimentant un outil de transparence

Les parties prenantes ont témoigné du manque de confiance entre acteurs d’une même filière. Afin d’améliorer la transparence, condition essentielle pour la confiance, il est essentiel d’obtenir des données fiables. La mise en place d’un système permettant le partage d’informations confidentielles avec un tiers de confiance permet d’établir des indicateurs anonymisés afin de connaitre et de comprendre la création de la valeur dans la filière. La démarche a été initiée pour la filière lait avec le cabinet Oliver Wyman et la méthode est en cours de construction.

3 - Améliorer la perception de la valeur de l’alimentation en précisant le rôle des promotions

De nombreux industriels, notamment des PME, ont témoigné de l’impact sur leurs ventes de la modification du volet promotions de la loi EGalim, qui a pu semer la confusion auprès des équipes en magasin. Il convient de rappeler qu’il existe trois types de promotions :

- La mise en avant de produits de saison durant la saison, qui n’est pas nécessairement accompagnée d’une baisse de prix. Ce type d’opération est à encourager et ne s’assimile pas à la disposition d’encadrement des promotions de la loi EGalim. Il y a donc une totale liberté.

- Deuxièmement, la promotion de type « bonnes affaires », déjà encadrée par la loi EGalim et récemment complétée par la loi ASAP.

- Et enfin, les dégagements, pour lesquels la perception de la valeur peut être incomprise par le consommateur. Je recommande pour cette catégorie que ce soient les interprofessions qui définissent des périodes de dégagement de produits sensibles pendant lesquelles la publicité sur le prix des promotions de ces produits seraient interdites, sauf accord explicite de l’interprofession. La publicité serait interdite en dehors des magasins, que ce soit dans les prospectus, sur les sites internet ou encore les affiches et applis.

4 - Renforcer la médiation

Il conviendrait de renforcer les pouvoirs du médiateur. A l’issue de la médiation, dont la période devrait être rallongée, il faut imaginer une forme de proposition d’arbitrage permettant de trancher. Tout dossier déposé devra être argumenté.

Par ailleurs, la médiation devrait ouvrir pour les deux parties une période de moratoire contractuel afin que la médiation puisse se dérouler sereinement.

5 - Revoir la politique de pénalités

Je recommande du discernement sur les produits vivants. Cet élément a été remonté systématiquement dans les auditions. Sur un plan général, il me semble que la pluri-annualité permettra aux différents acteurs une meilleure compréhension des pénalités.

6 - Plus de patriotisme agricole

Il convient d’identifier systématiquement l’origine France des ingrédients et des produits, y compris en restauration collective pour favoriser le patriotisme agricole. C’est une cause importante à défendre au niveau européen et il ne faut pas lâcher sur ce sujet. C’est souvent dans la restauration collective, commerciale et scolaire qu’on retrouve le plus de produits importés.

7- Encourager les agriculteurs à se regrouper

Il faudrait encourager la création d’entités plus fortes d’agriculteurs par le regroupement d’entités existantes. L’éclatement de la représentation affaiblit les agriculteurs lors de la négociation. Ensemble, les agriculteurs arriveront à s’ouvrir à d’autres modes de distribution ou de valorisation de leurs produits et ainsi de sortir de la « sous-traitance ».

8 - Accélérer la transformation des coopératives

Les coopératives doivent accélérer leur transformation pour passer d’une logique de flux poussés à une logique d’orientation de la production vers les flux tirés répondant ainsi aux attentes des marchés, de la société et donc aux attentes des adhérents des coopératives. Cela passera probablement par la construction de processus contractuels qui incluent la rémunération des adhérents. L’implication - prendre en compte et prendre à cœur - des agriculteurs dans la gouvernance des coopératives est fondamentale.

9 - Mettre en place une véritable éducation nutritionnelle

Il est indispensable de mettre en place une véritable éducation nutritionnelle et agricole des plus jeunes dès la primaire. De même, cet aspect pourrait être renforcé lors de la formation des futurs médecins.