Portage foncier : enjeux, faiblesses et recommandations

Un rapport du CGAAER recommande de renforcer l’attractivité du statut du fermage pour les propriétaires-bailleurs tout en ménageant, dans un souci d’équilibre et de manière indissociable, des contreparties aux preneurs. Il appelle également à créer un observatoire national du foncier, indépendant, destiné à combler l’insuffisance de données.

En France, 80% des 26,6 millions d’hectares de SAU sont exploités en fermage contre 20% en faire-valoir direct. Le ratio était de 50/50 à la création du statut du fermage en 1946. Selon le Conseil général de l’agriculture, de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER), ce quota de terres et prés loués représente une valeur théorique de 130 milliards d’euros, 100 milliards d’euros en appliquant une réfaction « terre occupée ». « Le portage du foncier agricole est l'objet d'un intérêt particulier, notamment pour l’installation, car il permet de consacrer les financements disponibles aux actifs directement productifs plutôt qu'au foncier », écrit le CGAAER en préambule d’un rapport consacré au portage foncier, lequel consiste à faire porter le poids du capital foncier sur des propriétaires-bailleurs, en échange d’un bail rural (fermage ou métayage) ou d’une convention d’occupation précaire (SAFER, collectivités).

Un rendement négatif pour les propriétaires-bailleurs

Problème : « La fiscalité liée au foncier agricole, de plus en plus élevée et le plus souvent sans lien avec le revenu tiré des fermages, aboutit à des rendements négatifs en moyenne dans la mesure où cette fiscalité croît plus rapidement que le niveau des fermages dont les évolutions sont erratiques et sans garantie d’évolution favorable de la valeur du capital », rapporte la mission du CGAAER.

Les fermages sont en moyenne deux fois inférieurs en France (140€/ha) qu’en Belgique, deux pays qui partagent une politique d’encadrement et de plafonnement. L’écart est supérieur vis-à-vis de nombreux pays de l’UE, en contrepartie de quoi le prix de la terre est moindre en France. « Ce qui facilite le rachat de terres par des étrangers », relève la mission. « Aider l’acquisition du foncier par les exploitants agricoles-fermiers ne peut constituer la réponse principale au portage du foncier agricole, écrivent les rapporteurs. Il est illusoire d’imaginer se passer de capitaux privés extérieurs à la sphère agricole pour développer le portage du foncier agricole. Le renouvellement de propriétaires-bailleurs, par l’accueil maîtrisé de nouveaux investisseurs est stratégique pour la compétitivité de l’agriculture française. Cela rend nécessaire l’amélioration des perspectives de rentabilité́ nette des locations ».

Restaurer l’attractivité de l’investissement dans le foncier agricole

Pour corriger la dégradation de la situation des propriétaires-bailleurs, la mission propose de réduire la fiscalité liée à la détention et à la transmission, en portant de 20% à 50% l’exonération de la part communale et intercommunale de la TFNB pour les baux à long terme, en sortant les terres agricoles de l’import sur la fortune immobilière (IFI), en poursuivant la réduction des droits de mutation à titre gratuit par un alignement sur la pacte Dutreil et en remplaçant, dans cadre-là, l’obligation de détention par un engagement de conservation afin de favoriser la transmission intrafamiliale.

Réduire l’insécurité résiduelle du statut du fermage

Le CGAAER pointe plusieurs sources d’insécurité préjudiciables tant aux propriétaires qu’aux fermiers. La mission propose de rendre obligatoire les baux écrits à partir d’un seuil de surface de 5 hectares aux frais partagés du propriétaire-bailleur et du preneur (contrepartie indissociable), de supprimer l’indemnité de sortie pour les baux effectués sans état des lieux initial (contrepartie indissociable), d’ouvrir la possibilité, dans le cadre du statut du fermage, par accord contractuel entre les parties, de fixer les modalités de l’autorisation de faire des travaux sur les biens loués ainsi que de leur indemnisation ou encore d’imputer prioritairement la « parcelle de subsistance » du fermier qui prend sa retraite sur les terres qu’il détient en propriété.

Pour favoriser le développement des baux cessibles, la mission propose de clarifier les modalités de leur mise en œuvre, en rendant cessible de plein droit les baux liés à des fonds agricoles à l’occasion de leur cession, en précisant les règles de calcul de l’indemnité d’éviction et en limitant le cumul de l’indemnité d’éviction avec l’indemnité due au preneur sortant au titre des améliorations apportées.

Faire évoluer l’exercice du droit de préemption

Selon la mission, l’exercice du droit de préemption est aussi porteuse d’insécurité du fait d’un risque d’exercice du droit de reprise au terme du bail. Elle propose ainsi deux mesures correctrices et comprises comme contreparties indissociables. Il s’agit d’une part de rendre cessible hors du cadre familial le droit de préemption du preneur quand le propriétaire- bailleur souhaite vendre mais sous condition de la signature avec le preneur en place d’un bail à long terme. Concernant la fixation du prix, la mission propose de déroger à l’évaluation sur la base d’un bien loué au profit de celle d’un bien libre.

Faire évoluer les règles applicables au GFA

Considéré par le CGAAER comme un outil « pertinent » et « incontournable » pour développer les solutions de portage du foncier avec l’ampleur nécessaire, tout particulièrement pour les installations hors cadre familial, le GFA est néanmoins un sujet « sensible » du fait de la présence d’investisseurs non familiaux. La mission propose d’adapter son cadre législatif et notamment de supprimer l’accord unanime aujourd’hui nécessaire pour la sortie d’un associé en cas de silence des statuts sur cette question et de rendre obligatoire la fixation des conditions de sortie des associés dès le départ, dans les statuts du GFA. Elle recommande également de de prévoir dans les statuts les modalités de valorisation des parts (mode en cas de départ d’un associé, de supprimer les restrictions à la participation de personnes morales, qui seraient autorisées à y exercer toutes les fonctions de gestion, d’administration et de direction et de rendre automatique l’attribution préférentielle en jouissance dans le cadre d'un GFA familial à la demande d’un cohéritier exploitant.

Dans le cas particulier des coopératives, pour lesquelles le foncier peut confiner à l’enjeu de « pérennité », la mission propose de corréler la durée de l’engagement coopératif avec les baux ruraux à long terme afin de favoriser leur engagement dans le portage, sinon pour éviter les montages complexes.

La mission propose enfin de créer un nouveau type de GFA, le Groupement foncier agricole d’investissement (GFAI), transposition des Groupements forestiers d’investissement (GFI), mieux outillés d’un point de vue fiscal.

Soutenir les nouvelles solutions de portage

Dans son rapport, le CGAAER évoque les « nouveaux intervenants » ainsi que les « initiatives citoyennes » s’emparant de la question foncière, motivés par les enjeux de renouvellement des générations. Ces initiatives « répondent à des besoins émergeants et même modestement, elles complètent plus que concurrencent les solutions de portage traditionnelles, relate la mission. Elles adoptent une approche intégrée intéressant tout particulièrement les nouveaux publics candidats à l’installation (NIMA) et un nouveau public d’investisseurs en quête de sens pour leur placement. Leur développement mérite d’être accompagné notamment pour le portage de long terme (10-30 ans), sans exclure l’acquisition par l’exploitant pendant cette période ». Le CGAAER a identifié deux besoins spécifiques, à savoir la couverture du risque des premières opérations et le gage de fonds institutionnels pour assurer la levée de fonds privés.  La mission propose de créer constituer un fonds de garantie dont la gestion pourrait être confiée à Bpifrance et un fonds d’amorçage confié à la Banque des territoires. Elle propose également de considérer les foncières comme exploitant agricole au regard des aides à l’investissement

Créer un observatoire national indépendant

La mission recommande enfin de créer un observatoire national du foncier, qui ne soit pas impliqué dans la régulation du foncier agricole, destiné à combler l’insuffisance de données. « Le portage du foncier agricole et plus généralement la transmission en agriculture dans laquelle il s’inscrit, souffrent incontestablement de difficultés à disposer de données statistiques dans plusieurs domaines, tout particulièrement : le foncier agricole, sa propriété, son usage et sa transmission ; les modes de faire-valoir et leurs évolutions respectives. Les analyses souffrent de l’indisponibilité de données à un niveau suffisamment détaillé et intégrant les sciences humaines et sociales, pourtant indispensables pour caractériser et quantifier les situations et les enjeux du portage du foncier et nécessaires pour objectiver le diagnostic et les débats. Ces difficultés sont fréquemment relevées dans la bibliographie. Les rédacteurs y ont eux-mêmes été confrontés ».