« Supprimons le 1er pilier de la Pac pour tout mettre sur la transition »

Membre de la Commission agriculture du Parlement européen et éleveur bio en Charente-Maritime, l’eurodéputé Benoit Biteau (Les Verts - Alliance libre européenne) se dit prêt à redéposer un amendement de rejet de la Pac à l’occasion du vote final prévu cet été. Il s’en est ouvert lors d’un débat organisé dans le cadre de la Semaine pour les alternatives aux pesticides, sujet dont il est aussi forcément question. Verbatim.

Vers un second amendement de rejet

« Lors de l’examen de la Pac en première lecture en octobre 2020, j’ai déposé un amendement de rejet qui a recueilli le vote d’un tiers des députés. C’était inédit. La Pac qui est en train de s’écrire dans les trilogues est plus mauvaise que celle votée par le Parlement à l’automne dernier. Je suis prêt à redéposer un amendement de rejet lors du vote final de juin ou juillet. On a dix ans pour agir. Je préfère retarder la mise en œuvre de la Pac plutôt que de s’engager jusqu’en 2027 avec cette mauvaise Pac. Ma copie est prête, je suis prêt à la livrer à la Commission pour lui expliquer comment construire une Pac qui corresponde aux attentes sociétales ».

Renoncer au premier pilier

« L'Europe a fait du Green Deal et des stratégies Farm to fork et biodiversité le socle de son mandat. Il faudra donc avoir l’audace d’arrêter la perfusion de pratiques qui ne méritent plus d’être accompagnées par de l’argent public et mettre 100% de l’enveloppe sur la transition du modèle. On n’a alors plus besoin du premier pilier, ne faisons que du second pilier, c’est à dire des aides à la transition. La Pac, c’est 9 milliards d’euros de l’Europe plus 5 milliards d’euros de l’État et des Régions, avec très peu de conditionnalité. Cessons de perfuser ce modèle. Il ne s’agit pas de s’ingérer dans les choix d’entreprise des agriculteurs mais d’orienter les choix des politiques publiques ».

On plafonne les aides à l’AB, pourquoi pas les paiements de base ?

« On n’a pas réussi à plafonner les aides et on mobilise des enveloppes colossales captées par des structures toujours plus grosses et très utilisatrices de pesticides et d’engrais de synthèse. En revanche, sur les aides à l’agriculture biologique, comme les aides ne sont pas suffisantes, là on met des plafonds. Tant que l’on n’instaurera pas des règles de réciprocité et de conditionnalité dès le premier euro, on n’atteindra pas les objectifs de la transition car les aides dédiées ne sont pas suffisamment dimensionnées par rapport aux enjeux ».

Le modèle de la Sécurité sociale ou des agriculteurs bienfaiteurs

« En France, on a une enveloppe publique qui s’appelle la sécurité sociale, rémunérant des médecins prenant soin de notre santé. De la même manière, on pourrait décréter que l’enveloppe publique allouée à l’agriculture soit distribuée à des agriculteurs prenant soin de notre climat, de notre biodiversité et de notre santé en produisant une nourriture d’une qualité incontestable. On abandonnerait ainsi le système de perfusion et d’assistanat comme certains le vivent aujourd’hui pour un système de paiement des services écosystémiques, autrement plus valorisant. Ceux qui choisiront de ne pas changer de modèle, ça sera leur choix d’entreprise mais ça sera sans les aides ».

De l’AB sans effondrement de la productivité

« Il faut arrêter de comparer les rendements de l’AB dans des protocoles où on se contente d’enlever les pesticides et les engrais de synthèse, en se reposant sur les mêmes ressources génétiques, sans intégrer les pratiques agroécologiques correspondantes et les bénéfices écosystémiques inhérents. Cessons cette mascarade et comparons une agriculture qui s’appuie sur l’agroforesterie, sur des mélanges d’espèces à la parcelle, sur le respect de la vie du sol, avec une agriculture qui utilise massivement des pesticides et des engrais de synthèse, et qui impacte la fertilité des sols et la biodiversité ».

L’azote minéral dans l’impasse de l’énergie fossile

« Quand on apporte entre 200 kilos et 270 kilos d’azote sur blé, on crée une dépendance au pétrole de 300 à 400 l/ha/an, avant même d’avoir tourné la clé du tracteur car il faut 1,5 litres de pétrole ou de gaz pour produire 1 kilo d’azote. Résultat : dans notre modèle très dépendant au pétrole, une ressource finie à l’horizon 2050, il faut 7 calories d’énergie fossile pour produire 1 calorie alimentaire. Sur ma ferme, avec une calorie fossile, je produis entre 2 et 2,5 calories alimentaires ».

En finir avec l’argent public au service de solutions curatives

« Pour recréer de l’eau potable après la contamination de la ressource par les pesticides et les nitrates, il faut des enveloppes budgétaires pharaoniques, qui peuvent mobiliser entre 5 et 9 fois l’enveloppe de la Pac. Si demain on fait preuve d’un peu d’audace et de courage politique, on rémunérera les agriculteurs pour qu’ils apportent des réponses à une alimentation plus saine et au respect des ressources fondamentales, l’air que l’on respire, l’eau que l’on boit et la nourriture que l’on met dans notre assiette ».

Le puceron de la jaunisse, un coupable idéal

« Avec la fin des quotas et la logique ultra-libérale, il faut produire plus donc on met plus d’azote, on fait des betteraves plus turgescentes donc plus sensibles aux pucerons, on met plus d’insecticides, on tue les prédateurs et au final on fait moins de chiffre d’affaires que quand on produisait moins. Le puceron est un coupable idéal. Les néonicotinoïdes ne règleront pas les problèmes de la filière betteravière qui continue de croire que l’on peut jouer sur le marché mondial ».

La HVE, une fumisterie

Avec la HVE, on nous refait le coup de l’agriculture raisonnée au début des années 2000. C’est un contre-feu destiné à rivaliser avec l’AB. Dans le Cognac, il suffit de signer un papier pour la décrocher et sans rien changer vu que les viticulteurs sont en-dessous des 30% du chiffre d’affaire en intrants. Heureusement du reste car je ne voudrais pas être leur voisin. Le cahier des charges n’inclut aucune restriction, ni pour les CMR, c’est à dire les produits cancérogènes, mutagènes et neurotoxiques, ni pour les perturbateurs endocriniens ».

La HVE (bis), un tour de passe-passe agroécologique

« Je crains que la HVE soit pour les agriculteurs qui ne feront absolument aucun effort supplémentaire le moyen de mobiliser le verdissement de leur enveloppe Pac. En 2018 puis en 2020, la Cour des comptes européenne a prouvé que les aides au verdissement n’avaient rien changé, que cela revenait à dire aux agriculteurs : « éteignez la lumière quand vous sortez de la pièce ». On est parti pour refaire la même chose avec la HVE et les éco-régimes ».