Une production locale, oui, mais pas chez moi...

[Edito] C’est ce que semblent dire les consommateurs, qui prônent des produits français et de qualité, mais qui refusent bien souvent les installations agricoles près de chez eux. Au grand profit des importations…

Que dénoncent les détracteurs des « méga bassines », des « élevages industriels » ou encore de « l’agro-business » ? Ils dénoncent une agriculture « productiviste », en opposition avec une agriculture « paysanne ». Il est vrai qu’en France, les clivages autour de l’agriculture et de l’alimentation ont la vie dure. On aime les oppositions : bio contre conventionnel, paysan contre industriel, etc. Il faut dire que les représentations du secteur agro-alimentaire dans l’espace public sont elles-mêmes très clivantes. Nos concitoyens ont le choix entre l’image angoissante véhiculée dans la presse grand public (crises, dérives, scandales sanitaires ou environnementaux…) et celle, idyllique, du marketing et de la publicité (champs verdoyants, fermières en chemises à carreaux…). La réalité et la diversité de l’agriculture française restent donc largement méconnues.

Un clivage existe également entre le « citoyen consommateur » et le « citoyen habitant ». Chacun désire des produits sains, locaux (et pas chers), mais personne ne souhaite un poulailler ou un élevage de porcs à côté de chez lui. C’est le syndrome du Nimby (Not In My Backyard, en français « pas dans mon jardin »), qui désigne l’attitude d’une personne qui refuse l’implantation dans son environnement proche d’une infrastructure. Et cela vaut autant pour les poulaillers que pour les méthaniseurs, les éoliennes, mais aussi plus largement les usines, lignes à grandes vitesse, etc.

Perte de compétitivité

Dans l’Yonne, des habitants se sont récemment dressés contre un projet de poulailler avec une pétition qui a recueilli plus de 40 000 signatures. Faut-il rappeler que la capacité moyenne des ateliers de poulets de chair en France est plus de 2 fois inférieure à la moyenne européenne ou à celle de la Belgique, 4 fois inférieure à celle de l’Allemagne, 5 fois inférieure à la moyenne hollandaise et britannique et 20 fois inférieure à la taille des élevages ukrainiens, thaïlandais ou brésiliens ?

La France est à la pointe sur les normes en matière d’environnement, de biodiversité et de bien-être animal. Mais les règles ne sont pas les mêmes pour nos voisins européens, et la distorsion de concurrence au sein-même de l’Union européenne est délétère.

Sur la période 2000-2021, la consommation de viande de poulet a doublé en France alors que la production n’a crû que de 9%. Résultat : près d’un poulet sur deux est désormais importé. « Cette explosion provient d’une incapacité́ de la filière française à répondre à la matière première la plus recherchée sur le marché qui est le filet de poulet dans des circuits de distribution hors grandes et moyennes surfaces, pour laquelle la filière française dispose d’un déficit de compétitivité »́, indiquait un rapport de la Commission des affaires économiques du Sénat à l’automne dernier. « Du poulet français, oui, mais pas à proximité de mon jardin », nous disent ainsi les consommateurs… en mangeant leurs nuggets dont ils ignorent tout de la provenance.