Vers l'abandon des ammonitrates à haut dosage

C’est ce que préconise un rapport gouvernemental, qui met en avant des enjeux de sécurité, moyennant un soutien public à la conversion des usines françaises à la production d’ammonitrates moyen dosage, assorti d’un renchérissement de l’urée et des solutions azotées, importées et moins-disantes aux plans agronomique et environnemental, via des mesures douanières et l’instauration d’une redevance prévue par la loi Climat et résilience.

Supprimer l’ammonitrate haut dosage dans un délai compatible avec l’adaptation de l’outil industriel en France, stimuler la production d’ammonitrate moyen dosage en subventionnant les fabricants d’engrais dans la transition grâce à France 2030 et rendre moins attractives l’urée et les solutions azotés, qui sont plus émettrices d’ammoniac, en portant à Bruxelles le dossier de la réintroduction des droits de douane, en s’appuyant sur la loi Climat et résilience et le Plan national de réduction des émissions de polluants atmosphériques (PREPA), qui prévoient d’instaurer une redevance sur les émissions polluantes atmosphériques des engrais fortement émetteur de polluants : telles sont les recommandations d’un rapport gouvernemental (*) sur la gestion des risques liés aux ammonitrates.

Evolution des livraisons d’engrais azotés simples en France métropolitaine entre 2008-2009 et 2021-2022 (Source Unifa)
Evolution des livraisons d’engrais azotés simples en France métropolitaine entre 2008-2009 et 2021-2022 (Source Unifa)

Son caractère détonnant est à l’image des risques d’explosion dont sont porteurs les ammonitrates à haut dosage stockées en vrac, c’est à dire contenant 28% et plus de nitrate d'ammonium contre 24,5% à 28% pour le moyen dosage. En l’espace d’un siècle, des dizaines d’explosion ont engendré des milliers de morts à travers le monde, n’épargnant pas la France, le dernier accident mortel remontant à 2001 avec l’explosion à Toulouse (Haute-Garonne) de l’usine AZF, à l’origine de 30 décès.

En 2020, l’explosion dans le port de Beyrouth (204 morts) a eu pour effet de réactiver la vigilance des autorités françaises, qui se sont penchées sur les conditions de stockage en vrac des ammonitrates à haut dosage dans les ports, dédouanant les ports maritimes mais pointant « des conditions de sécurité non optimales » dans les ports fluviaux. Le nouveau rapport pointe quant à lui l’absence de données disponibles sur le nombre d’installations stockant en vrac des ammonitrates haut dosage, estimé à 600 entre 300 et 500t et 400 entre 150 et 250t.

"La France a surtransposé la directive Seveso sur le moyen dosage alors que la directive ne classe pas ce type de produit "

Les rapporteurs s’étonnent par ailleurs que la France ne fasse pas de différence de dangers entre le haut et le moyen dosage, la réglementation ICPE étant « pratiquement les mêmes », ce qui fait que qu’elle est « trop exigeante pour le moyen dosage et pas assez pour le haut dosage ». « La France a surtransposé la directive Seveso sur le moyen dosage alors que la directive ne classe pas ce type de produit », lit-on dans le rapport, qui relève que tous les accidents mortels dans le monde ont concerné du haut dosage.

"La mission propose de supprimer l’utilisation du haut dosage, comme la moitié des pays européens l’ont déjà fait"

Mais plutôt que d’en passer par une révision à la baisse des seuils de déclaration, susceptible d’engendrer un coût de mise en conformité de 100.000 euros par site concerné, le rapport préconise une action plus radicale, consistant à « supprimer l’utilisation du haut dosage, comme la moitié des pays européens l’ont déjà fait fait (...) Malgré le fait que ceci nécessite le transport, le stockage et l’épandage de 20% de volume de matière en plus, pour maintenir le même apport en azote, cette transition permettrait à la France de gagner sur quatre tableaux à la fois : la sécurité, la souveraineté, l’environnement et la performance agricole ».

A tout le moins, la mission préconise de supprimer, au profit des big bag, l’autorisation de livraison en vrac de l’ammonitrate haut dosage, « une survivance d’habitudes exploitant abusivement les dispositions dérogatoires d’un règlement européen ». C’est, à 90%, le positionnement d’ores-et-déjà opéré par Yara, l’un des deux fabricants présents en France (avec Agrofert, ex-Borealis),

Potentiel d’émission d’ammoniac par forme et par technique de réduction (Source : European monitoring and evaluation programme)
Potentiel d’émission d’ammoniac par forme et par technique de réduction (Source : European monitoring and evaluation programme)

Convertir les usines françaises au moyen dosage

L’idée de supprimer l’ammonitrate haut dosage n’est pas nouvelle. Elle avait été proposée dès 2004 après les accidents de Toulouse et de Saint-Romain-en-Jarez (Loire, 26 blessés). Problème : quatre des cinq usines d’engrais azotés présentes sur le sol métropolitain produisent des ammonitrates haut dosage, dont trois exclusivement. Les deux industriels concernés estiment, selon le rapport, à 240 millions d’euros le coût cumulé de la conversion des quatre usines. Pour la mission, « les industriels concernés doivent être aidés dans cette démarche par les crédits prévus dans France 2030. Cette transformation pourrait aussi être l’occasion d’augmenter la production d’ammonitrates en France ». Le rapport rappelle que la France produit un peu moins de la moitié (48,4%) de l’azote dont elle a besoin pour ses cultures, un taux qui monte à 71% pour les seuls engrais minéraux azotés. La mission propose également d’en finir avec la surtransposition de la directive Seveso appliquée aux ammonitrates moyen dosage.

Renchérir le coût de l’urée et de la solution azotée

Dans le même temps, la mission propose de « réintroduire des mesures douanières sur les engrais azotés et d’étudier la mise en place d’une redevance sur les émissions atmosphériques des engrais », rendue possible par la loi « Climat et résilience », dans le but « d’éviter un report de consommation vers l’urée, nettement plus nocive en termes de relargage d’ammoniac dans l’air ». Les fabricants d’engrais craignent en effet que les agriculteurs ne reportent leur choix sur l’urée et les solutions azotées qui, en sus d’être 100% importées, s’avèrent moins-disantes aux plans agronomique et environnemental, relarguant respectivement sept et quatre fois plus d’ammoniac dans l’atmosphère que les ammonitrates. Mais l’urée comme la solution azotée sont plus compétitives que l’ammonitrate.

Evolution des cours des engrais azotés, ramenés à la tonne d’ammonitrate haut dosage (Source : CGAAER, CGE, IGEDD)
Evolution des cours des engrais azotés, ramenés à la tonne d’ammonitrate haut dosage (Source : CGAAER, CGE, IGEDD)

La mission rappelle que les tarifs douaniers, qui s’élevaient à 5,5% pour l’ammoniac et 6,5% pour l’urée sont suspendus depuis 2022, en lien avec l’explosion des cours du gaz consécutive à la guerre en Ukraine. Elle note que les prix des engrais sont « conformes à des niveaux antérieurs à ceux observés avant la crise »,  qu’« il y a beaucoup de produits disponibles sur le marché » et qu’en conséquence, « les droits de douane doivent être rétablis (...) D’un point de vue économique, une production nationale suffisante d’ammonitrate moyen dosage permettrait aux filières agricoles d’être moins sensibles aux fluctuations des cours des échanges internationaux, et réduirait les coûts de transport liés aux importations actuelles. Il ne résulterait un nouvel équilibre "coût-efficacité" ».

(*) Inspection générale de l’environnement et du développement durable (IGEDD), Conseil général de l’économie (CGE), Conseil général de l’agriculture de l’alimentation et des espaces ruraux (CGAAER)