Déclassement du loup : et après ?

Si la décision du Comité permanent de la Convention de Berne horripile les organisations de protection de la nature, elle ne rassure pas totalement les éleveurs, qui s’interrogent notamment sur l’adaptation en conséquence des tirs de défense ainsi que des seuils de prélèvement. Premières indications lors de la réunion prochaine du Groupe national loup, où sera communiquée la nouvelle estimation de la population.

Le 3 décembre, sur proposition de la Commission européenne et à une très large majorité, le Comité permanent de la Convention de Berne du Conseil de l’Europe a voté en faveur d’une modification du statut de protection du loup, passant de « strictement protégé » à « protégé. La modification entrera en vigueur le 7 mars 2025, date à partir de laquelle la Commission européenne proposera une modification législative de la directive Habitats, comme elle l’a indiqué aussitôt le vote prononcé. La proposition de , modification devra être adoptée par le Parlement européen et le Conseil, ce qui laisse un peu de répit au loup, si tant est que le déclassement modifie effectivement la donne. « Etant donné que le loup restera une espèce protégée, les mesures de conservation et de gestion des États membres devront encore atteindre et maintenir un état de conservation favorable », a mis en garde la Commission.

« Un choix démagogique qui n’apporte aucune solution »

Dans un communiqué commun, plusieurs organisations de protection de la nature (Aspas, FNE, Humanité & Biodiversité, LPO, WWF) ont dénoncé la décision du Comité permanent de la Convention de Berne, la qualifiant de « choix démagogique qui n’apporte aucune solution ». « Le choix du déclassement entend faciliter les tirs de loups et de ce fait, les loups visés ne seront pas forcément ceux qui ont causé des dommages sur des troupeaux, donc cela ne règlera aucunement les difficultés des éleveurs et bergers, écrivent-elles dans un communiqué. Aucune étude n’a prouvé que les tirs permettent de prévenir les dommages sur les animaux d’élevage, au contraire, les destructions d’individus provoquent la dispersion des meutes. La présence du loup est une réalité durable : la seule voie possible est donc celle de la coexistence, qui passe par des mesures de protection efficaces qui ont fait leurs preuves : chiens de protection, clôtures et présence humaine. C’est mentir au monde agricole que de faire croire que les tirs sont la solution prioritaire pour gérer la présence du prédateur ».

 

Au Sommet de l’élevage le 4 octobre dernier, le Premier ministre Michel Barnier, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard et la prsidente de la FNO Michèle Boudoin
Au Sommet de l’élevage le 4 octobre dernier, le Premier ministre Michel Barnier, la ministre de l’Agriculture Annie Genevard et la présidente de la FNO Michèle Boudoin

Quid des tirs et des seuils de prélèvement

Du côté des éleveurs, la FNO se veut prudente et « salue » une décision qu’elle qualifie de « première étape concrète vers un déclassement du loup au niveau UE » « C’est une satisfaction, déclare Michèle Boudoin, éleveuse de brebis dans le Puy-de-Dome et présidente de la FNO. La décision entérine la reconnaissance de l’impact du loup sur les activités d’élevage, en terme économique et psychologique mais aussi pour les communautés rurales compte tenu du nombre de loups de plus en plus important et de leur dangerosité ».

« Lorsque qu’un loup s’approchera des troupeaux, il s’exposera à des chiens de protection, à des filets et potentiellement à des tirs de défense »

L’association Cercle 12, aux avant-postes de la lutte contre la prédation, avec le Collectif Pâturage et Biodiversité, attend des adaptations concrètes. « On réclame un assouplissement des tirs de défense », explique Mélanie Brunet, présidente du Cercle 12. L’éleveuse de brebis installée dans l’Aveyron évoque l’instauration de tirs en dehors de la présence des troupeaux et en dehors des parcelles des éleveurs prédatés, et plus seulement à poste fixe, comme l’impose la loi dans le cadre des dérogations. « On ne veut pas que le loup soit complètement chassable, tempère Michèle Boudoin. L’idée, c’est que l’on puisse le réguler avec un normatif règlementaire sans équivoque, au moyen de tirs de défense s’apparentant à une mesure de protection et de rééducation du loup. Lorsque qu’un loup s’approchera des troupeaux, il s’exposera à des chiens de protection, à des filets et potentiellement à des tirs de défense. Impuni aujourd’hui, on va réapprendre au loup à avoir peut de l’homme. Ce faisant, il fera son boulot de régulation dans la faune sauvage et calera ses naissances sur sa nourriture. On va donner un peu d’espoir à tous ces éleveurs impactés par la prédation depuis 20 ou 30 ans ».

Le Cercle 12 escompte par ailleurs des décisions concernant le seuil de prélèvement, fixé aujourd’hui à 19%. « Dans certains départements, le préfet freine les tireurs ou les louvetiers parce que le quota est presque atteint, indique Mélanie Brunet. Nous réclamons la suppression du quota au profit d’une gestion adaptée au niveau local en fonction des sinistres et des meutes en présence, ainsi que le renforcement de la formation des tireurs ».

La Conf’ réclame le renforcement de la protection des troupeaux

La Confédération paysanne ne se fait guère d’illusion quant à la révision du seuil de prélèvement. « Le taux de prélèvement restera le même, devise-t-elle dans un communiqué. Il nous paraît donc irresponsable de faire croire qu’abattre 200 loups au hasard sera efficace pour protéger les troupeaux. C’est avant tout la régulation des attaques qui doit être recherchée, c’est à dire des tirs ciblés en situation d’attaque par la Louveterie et la brigade OFB sur des élevages prédatés afin de soulager concrètement les éleveurs dans le cadre de la protection des troupeaux ». Le syndicat réclame le financement de la protection des troupeaux à 100%, une anticipation de la protection pour les éleveurs volontaires sur les fronts de colonisation avec l’extension du cercle 3 à l’ensemble des départements, le financement de la protection pour les éleveurs bovins volontaires et enfin la mise en place de programmes de recherche avec la pose de GPS sur des meutes afin d’améliorer la connaissance sur le comportement des loups.

En attendant la réunion du Groupe national loup

Programmée à la mi-décembre, la prochaine réunion du Groupe national loup (GNL) devrait éclairer le positionnement des différentes parties prenantes, dont l’Etat. Lors de la présentation du Plan national d’actions loup 2024-2029 à l’automne 2023, le ministre de l’Agriculture Marc Fesneau avait déclaré que le Plan pourrait être modifié au cas où le statut du loup évoluerait au niveau européen. « C’est la première fois que l’on affiche cette ambition d’un PNA plastique, adaptatif », avait-il dit.

Lors la réunion du GNL, l’OFB devrait communiquer la dernière estimation en date du nombre de loups présents sur le territoire national, déterminant le nombre d’animaux prélevés en 2025 sur la base du taux de 19%. L’estimation de la population sera basée sur une nouvelle méthode, intronisée par le PNA 2024-2029, et reposant sur l’analyse génétique de prélèvements en lieu et place d’indices visuels ou sonores. Et censée clore les controverses. Mélanie Brunet n’y croit pas un instant. « On n’a toujours pas confiance, déclare l’éleveuse. On a abandonné les hurlements provoqués alors que la méthode était efficace. Quant aux analyses génétiques, elles ne porteront que sur quelques indices à l’échelle d’une maille de 10 km sur 10 km, avec des prélèvements encore plus restreints en dehors des zones de présence permanente ».

En visite au Sommet de l’élevage le 4 octobre dernier, le Premier ministre avait donné des gages aux éleveurs.  « Pour moi l’Homme reste au milieu et la priorité  », avait déclaré le Premier ministre, évoquant les « dégâts que fait le loup sur beaucoup d’exploitations en cassant le moral des éleveurs » et se projetant sur la réunion du GNL à la mi-décembre, vue comme « comme une moment-clé pour augmenter la capacité de prélèvement (...) Je veux dire aussi, d’une manière non pas optimiste ni euphorique, qu’il y a enfin un mouvement sur cette question vers moins d’idéologie et plus de pragmatisme au niveau européen ». C’était le 4 octobre dernier, il y a deux mois jour pour jour. Avant la censure-morsure ?