Europe : une étape cruciale vers la réduction de 50% de pesticides d’ici à 2030

La proposition de loi de la Commission européenne ménage une fourchette comprise entre -35% et -60% selon l’intensité des usages des Etats membres, assortie d’une compensation des coûts. Le taux s’appliquant à la France n’est pas scellé. Un second projet de loi vise à restaurer les écosystèmes endommagés.

En décembre 2019, la Commission européenne lançait le Green deal (Pacte vert) destiné à inscrire l’UE dans la durabilité, la résilience au changement climatique et la neutralité carbone à l’horizon 2050 dans tous les secteurs (agriculture, énergie, industrie, transport...). La déclinaison agricole emprunte deux programmes que sont Farm to fork (de la ferme à la fourchette) et la stratégie Biodiversité, assortie des objectifs suivants à l’horizon 2030 : -50% de pesticides, -50% d’antimicrobiens, -50% de pertes de nutriments, 25% de SAU en agriculture biologique, 10% de SAU en infrastructures agroécologiques et, d’ici à 2025, 100% d’accès à internet à haut débit en zones rurales. Ce n’était alors que des objectifs chiffrés, mais juridiquement non contraignants. Le 22 juin, la Commission européenne est passée à la vitesse supérieure en émettant deux propositions de loi distinctes.

« Des règles claires et contraignantes »

La première, relative à la réduction de 50% des usages et des risques (règlement SUR), se substituera à la Directive 2009/128/CE. « Les règles actuelles prévues par la directive sur une utilisation des pesticides compatible avec le développement durable se sont révélées trop faibles et ont été mises en œuvre de manière inégale, justifie la Commission. En outre, des progrès insuffisants ont été accomplis en ce qui concerne l'utilisation de la lutte intégrée contre les organismes nuisibles ainsi que d'autres approches ou techniques de substitution. Les pesticides chimiques nuisent à la santé humaine et provoquent le déclin de la biodiversité dans les zones agricoles. Ils contaminent l'air, l'eau et l'environnement dans son ensemble. La Commission propose donc des règles claires et contraignantes. Cela permettra de résoudre les problèmes persistants liés à la mise en œuvre déficiente et inégale des règles existantes au cours de la dernière décennie ».

Outre la réduction de 50%, l’usage des pesticides sera interdit dans les zones sensibles (espaces verts urbains, parcs ou jardins publics, terrains de jeux, terrains de loisirs ou de sport, sentiers publics, zones protégées conformément à Natura 2000, toute zone écologiquement sensible à préserver en raison de la présence de pollinisateurs menacés).

Un objectif national qui reste à arbitrer

La proposition de loi ménage une fourchette comprise entre -35% et -60% par pays selon l’intensité des usages. « Les États membres fixeront leurs propres objectifs nationaux de réduction en fonction de paramètres définis afin de garantir la réalisation des objectifs à l'échelle de l'UE », indique la Commission.

Du côté du gouvernement français, on salue une « proposition qui permet d’avancer au niveau européen sur la transition agroécologique, porteuse de souveraineté et de résilience, dans un cadre d’efforts équitables entre les agriculteurs et tous les Etats membres. La question des objectifs sera au cœur des débats. Les équipes interministérielles vont d’abord lire la proposition et former cette analyse. On sera en capacité plus tard de se fixer un objectif précis sur ce que l’on souhaite en terme d’opérabilité de l’indicateur et une fois cet indicateur stabilisé, l’objectif que l’on visera ».

Selon le gouvernement, le processus de négociation découlant de la proposition de la Commission pourrait prendre « environ deux ans de travail pour préciser et discuter des détails, du règlement et des annexes. Ce qui est important pour les autorités françaises, c’est l’opérationnalité, la cohérence, la clarté de cette ambition avec notre ambition environnementale, avec notre politique agricole commune ».

La compensation des surcoûts

Le gouvernement attend du reste le texte législatif final pour jauger la compatibilité du Plan stratégique national (PSN) avec ce futur règlement, ce qui risque de réduire la phase de transition, la Commission étant inflexible sur l'effectivité de l’objectif en 2030. Mais elle se dit prête à adopter « de nouvelles règles de la politique agricole commune visant à garantir que les agriculteurs reçoivent une compensation pour tous les coûts liés à la mise en œuvre des nouvelles règles pendant une période de transition de cinq ans ». La Commission mise aussi sur l’élargissement de solutions de remplacement biologiques et à faible risque sur le marché, les nouvelles technologies telles que l’agriculture de précision ou encore la reconnaissance et la pulvérisation ciblées des organismes nuisibles.

Réparer les écosystèmes

Outre la réduction de 50% des usages, une seconde proposition de loi vise à « réparer les 80 % d'habitats européens qui sont en mauvais état et à ramener la nature dans tous les écosystèmes, depuis les forêts et les terres agricoles jusqu'aux écosystèmes marins, d'eau douce et urbains ». L'objectif est de couvrir au moins 20% des zones terrestres et marines de l'UE d'ici à 2030 par des mesures de restauration de la nature et, d'ici à 2050, d'étendre ces mesures à tous les écosystèmes qui doivent être restaurés. Charge à chaque Etat d’établir un Plan national de restauration, en étroite coopération avec les scientifiques, les parties prenantes intéressées et le public. « Cette nouvelle loi s'appuie sur la législation existante, mais couvre tous les écosystèmes plutôt que de se limiter aux zones protégées dans le cadre de la directive Habitats et de Natura 2000, afin de mettre tous les écosystèmes naturels et semi-naturels sur la voie de la restauration d'ici à 2030 », indique la Commission.

Entre autres objectifs, il s’agira d’inverser le déclin des populations de pollinisateurs d'ici à 2030 puis accroître leurs populations, d’améliorer la biodiversité des écosystèmes agricoles avec une évolution positive pour les papillons de prairies, les oiseaux des milieux agricoles, le carbone organique dans les sols minéraux sous les terres cultivées et les particularités topographiques à haute diversité biologique, de restaurer et de remettre en eau des tourbières drainées utilisées à des fins agricoles et dans les sites d'extraction de tourbe, de restaurer les habitats marins ou encore d’augmenter les couverts arborés dans les villes.

"Ces propositions réduiront la dépendance des agriculteurs à l'égard des intrants coûteux, tels que les pesticides chimiques"

Selon la Commission européenne, ces deux propositions, désormais examinées par le Parlement européen, « renforceront la résilience et la sécurité alimentaire de l'Europe à moyen terme, à mesure que les populations de pollinisateurs deviendront plus saines et plus abondantes, que l'érosion des sols diminuera et que la rétention d'eau s'améliorera, et que notre environnement naturel deviendra plus propre et de plus en plus exempt de substances toxiques. Elles réduiront également la dépendance des agriculteurs à l'égard des intrants coûteux, tels que les pesticides chimiques, en soutenant des denrées alimentaires abordables pour tous les citoyens de l'UE ». Evidemment.