Face au désarroi des agriculteurs, le devoir de tous les Français

[Edito] Depuis une semaine, les témoignages d’agriculteurs recueillis sur les barrages donnent à voir la réalité crue et rude des conditions d’exercice du métier, qui confinent à l’humiliation et à l’indignité. Il est là, le défi du gouvernement. Et des 68 millions de Français.

« 70 à 80 heures par semaine pour gagner moins de 500 euros par mois, c’est plus tenable (...) On a l’impression d’être revenu quatre ou cinq ans en arrière, avant la loi Egalim (...) Le niveau des pensions de retraite, après une vie de labeur, c’est indigent (...) Laisser 7 % de son terrain en jachère, du terrain qu’on loue, mais sur lequel on ne peut pas travailler, c’est absurde (...) Le matin, quand on se lève, on allume le PC pour faire des déclarations (...) Heureusement que j’ai ma femme pour s’occuper des papiers (...) Les formalités nécessaires pour s’installer, il manque toujours un papier (...) Quand il y a des projets de création de lac artificiel, ils sont bloqués (...) C’est le ras-le-bol face au zèle des réglementations, de l’usage de l’eau à la taille des haies, tout est devenu compliqué et changeant (...) On a le sentiment d’être sous surveillance en permanence, avec des comptes à rendre à tout le monde, tout le temps, sans aucune reconnaissance (...) On a habitué les Français à se nourrir pour pas cher et ils ont oublié la valeur de leur alimentation (...) A force de laver plus blanc, l’agriculture française va devenir transparente (...) J’aime mon travail, mais je suis dégoûté qu’il ne soit pas reconnu » etc. etc. etc.

Un mois avant le Salon de l’agriculture, la vitrine vole en éclat

Depuis une semaine, les témoignages d’agriculteurs recueillis sur les barrages et autres « coups de poing » donnent à voir la (triste) réalité des conditions d’exercice du métier. En une semaine, les Français sont rentrés dans la tête et dans le cœur de milliers d’agriculteurs de France et de Navarre, sans le filtre de la pudeur, sans artifice de mise en scène. Depuis une semaine, les Français prennent en pleine figure la charge mentale pesant sur une profession très abîmée, désemparée, désespérée, comme en témoigne la surmortalité par suicide. Depuis une semaine, des milliers d’agriculteurs se sont transformés en lanceurs d’alerte et en disent beaucoup plus que des mois, voire des années, de débats sur la Politique agricole commune et de concertations autour du projet de Pacte et loi d’orientation agricole. Tout ça pour finir avec une Pac qui ne satisfait personne et un PLOA reporté car n’ayant pas saisi le malaise ambiant.

Des métiers du vivant qui mènent au cimetière

Selon un sondage paru en milieu de semaine, 89% des Français soutiennent le mouvement. Très bien. Mais, à entendre les témoignages ou à lire des slogans affichés sur les tracteurs, du genre « notre fin sera votre faim » ou « agriculteur : enfant on en rêve, adulte on en crève », on doute qu’ils aillent jusqu’à envoyer leur progéniture dans les fameux « métiers du vivant » qui finissent parfois dans un cimetière. Les mots sont durs mais ils ne sont que le miroir de l’humiliation et de l’indignité ressenties par les agriculteurs depuis tant d’années. Il est là, le défi du gouvernement, il est immense, pour ne pas dire incommensurable. Mais c’est aussi la responsabilité de tous les Français, au quotidien, à travers leurs actes d’achat mais aussi dans leurs paroles et dans leurs regards.

Le combat pour la dignité, et notre alimentation, d’Alexandra

Un dernier témoignage, celui d’Alexandra Sonac, jeune éleveuse de vaches allaitantes et productrice de maïs semence, dont le combat pour la dignité (et notre alimentation) a pris fin accidentellement à l’aube, le 23 janvier, sur un barrage à Pamiers (Ariège). La veille au soir, elle témoignait sur une radio locale. « On est là aujourd’hui parce qu’on vient défendre notre métier, trop de contrôles, trop de contraintes par rapport à cette irrigation, par rapport à cette nouvelle maladie qui est sortie, la MHE (...) Il y a encore plus de contraintes, de prises de sang à faire pour pouvoir vendre, c’est trop de débordement, un ras-le-bol, la goutte d’eau qui fait déborder le vase (...) On fait quand même partie du seul métier pour lequel on a des produits où on ne décide pas du prix de vente, chose pour moi qui est inadmissible (...) Moi j’ai quand même une famille à nourrir et quand on voit qu’on peut pas se retirer de salaire ou juste le Smic, pour moi c’est pas normal (...) Moi j’ai deux enfants à charge, là pour l’instant on vit, mais pour elles (...) On part pas en vacances, on n’a pas de jour de repos, aucun plaisir avec les enfants ». L’une de ses filles est elle aussi décédée des suites de l’accident.