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L’agriculture de l’Aude meurtrie par les incendies à répétition
S’il est encore trop tôt pour évaluer les impacts du méga-feu déclaré le 5 août dans le massif des Corbières, des dizaines d’exploitations avaient déjà subi des préjudices lors d’incendies en juin et juillet, à l’issue desquels la Chambre d’agriculture avait réclamé l’instauration d’une Indemnité compensatoire de handicap climatique (ICHC).
L’heure n’est pas au bilan mais encore au secours et à l’assistance des sinistrés, parmi lesquels se trouvent des agriculteurs, et notamment des viticulteurs, de nombreuses communes de la zone sinistrée ayant une forte orientation viticole. Et pour cause. Avec ses 8300 ha, l’AOC Corbières est la première AOC du Languedoc et la 4ème de France, soit la moitié des 17.000 ha de végétation partis en fumée entre le 5 et le 7 août, à la suite d’un des pires incendies de ces dernières décennies en France. Un feu hors-norme par son étendue (15 communes), sa vitesse de propagation (avec des pointes à 5 km/h), son bilan humain (au moins une victime et plus de dix blessés) et matériel, avec des dizaines d’habitations et de véhicules calcinés.
Un numéro de crise mis en place par la Chambre d’agriculture
La Chambre d’agriculture de l’Aude, qui a immédiatement mobilisé ses équipes afin d’accompagner les agriculteurs touchés, a mis en place un numéro d’urgence (06 77 10 67 49) destiné à recueillir les besoins et et à répondre aux premières interrogations. Les incendies n’étant pas reconnus comme calamités agricoles, la Chambre recommande aux agriculteurs sinistrés de porter plainte contre X auprès de la gendarmerie et d’effectuer une déclaration auprès de leur assureur, à titre conservatoire. La Chambre a également mis en ligne un formulaire permettant aux exploitants de documenter les dégâts engendrés par le feu parti de la commune de Ribaute le 5 août mais aussi par les quatre autres feux majeurs s’étant déclarés le 29 juin (Bizanet), le 5 juillet Moux / Douzens), le 7 juillet (Narbonne) et enfin le 26 juillet (Sigean), pour un total de 3500 ha de végétation partis en fumée.
La Chambre a par ailleurs indiqué se rapprocher des pouvoirs publics et des institutions compétentes « afin d'organiser une réponse coordonnée et d'apporter un soutien efficace aux exploitations touchées », en lien avec les organisations agricoles.
Selon un premier bilan provisoire établi par le Préfet de l’Aude jeudi en début d’après-midi, le feu aurait impacté 800 à 900ha de vignes dans le périmètre du feu. « Il faudra voir s’il y a d’autres conséquences sur les vignes qui n’étaient non pas dans le périmètre du feu mais dans le cône de diffusion de la fumée », a-t-il précisé.
Des effets en cascade sur la vigne
Comparativement à la garrigue et à la forêt, la vigne a certes des propriétés de pare-feu mais elle n’est pas pour autant immunisée, contre les flammes en bordure immédiate des foyers mais aussi contre les radiations thermiques, susceptibles d’engendrer de la mortalité plus en profondeur des parcelles. L’effet radiant n’est pas le seul méfait des incendies. Il faut aussi prendre en compte l’exposition aux cendres et aux fumées, susceptibles d’altérer leurs caractéristiques organoleptiques des futurs vins, ainsi que la pulvérisation de produits retardants, rendant les raisins impropres à la consommation, ou encore les déversements d’eau de mer ou d’étangs littoraux comme c’est le cas dans les Corbières, pouvant aussi engendrer des dégâts liés au sel, en plus des altérations physiques.
Mais dans l’Aude, la vigne cède de plus en plus la place à la friche. Le département s’est en effet placé en tête des dernières demandes d’arrachage, à hauteur de 5000ha, s’ajoutant aux 5500ha perdus pendant la décennie 2010-2020, soit au total l’équivalent de 15% de la SAU viticole. « Si on ne maintient pas les vignes dans les Corbières, le jour où un feu se déclare à Lagrasse, il arrivera à la mer », prédisait le viticulteur l’ancien président de la Chambre Philippe Vergne. Une prédiction devenue réalité ces 5 et 6 août.
Arrachages et sécheresse : la double peine
La déprise, le défaut d’entretien des fossés et chemins, le recul des activités cynégétiques, tendent à exposer davantage la vigne aux risques d’incendie et à favoriser leur propagation entre deux zones de combustibles. Sans oublier les déficits hydriques. Avec les Pyrénées-Orientales voisines, l’Aude est aux prises à des déficits de précipitations engendrant un état chronique de sécheresse depuis plusieurs années, rabougrissant les rendements et les revenus. A telle enseigne que le ministère de l’Agriculture a lancé l’an passé le Plan Agriculture climat Méditerranée, destiné à faire émerger 50 projets labellisés « aires agricoles de résilience climatique », portés par une contractualisation entre agriculteurs, transformateurs, collectivités territoriales et Etat. « Il est impératif de mettre en place un véritable plan de gestion et de stockage de l'eau et de maintenir nos productions agricoles, tout particulièrement la vigne, qui sont essentiels à la bonne santé de nos paysages et de notre économie locale », a réagi Jérôme Despey, vice-président de la FNSEA, viticulteur dans le département voisin de l’Hérault, dans un message de soutiens aux pompiers et aux agriculteurs.
Vers une Indemnité compensatoire de handicap climatique ?
De son côté, l’actuel président de la Chambre d’agriculture de l’Aude Ludovic Roux plaidait récemment dans les colonnes du Paysan du Midi pour l’instauration d'une Indemnité compensatoire de handicap climatique (ICHC), en référence à l’Indemnité compensatoire de handicap (ICHN), et destinée à compenser l’aridification et la désertification induites par le changement climatique. Ce dernier va inéluctablement accroître le risque d’incendie.
Le feu hors-norme des Corbières intervient deux mois jour pour jour après la présentation, par le gouvernement, de la Stratégie nationale de défense des forêts et des surfaces non boisées contre les incendies, reposant sur la prévention et l’anticipation. « Neuf feux sur dix sont d’origine humaine : notre vigilance est essentielle pour nous protéger », a rappelé la ministre de la Transition écologique Agnès Pannier-Runacher après l’incendie des Corbières.