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L'assurance récolte, victime collatérale de la piteuse moisson 2024 ?
[Edito] Outre l’affaiblissement des exploitations et la fragilisation des marchés export, la piteuse moisson 2024 va enfoncer un peu plus les références historiques de rendement des exploitations, talon d’Achille de l’assurance climatique, indispensable béquille de résilience.
Selon les estimations du ministère de l’Agriculture établies au 1er août, la production 2024 de blé tendre décrocherait de 24,9% sur un an, à 26,1Mt, avec un rendement moyen de 62,4q/ha. Elles corroborent les prévisions d’Argus Media, faisant état d’une production 25,1Mt, sous l’effet conjugué de la baisse des surfaces (-11% sur un an) et de la chute du rendement moyen estimé par le cabinet spécialisé 59,3q/ha contre 73,8q/ha en 2023, soit -19,6%. Dans tous les cas, il s’agit de la plus mauvaise récolte engrangée depuis 40 ans. Il faut remonter à 1983 pour tomber plus bas, avec 24,5 Mt. En 2016, dernier traumatisme en date pour les céréaliers, la récolte était de 26,7Mt et le rendement moyen de 53,8q/ha. Comme un malheur n’arrive jamais seul, la disette hexagonale intervient sur fond de production quasi pléthorique au plan international, ayant pour effet de plomber les cours, alors que les coûts de production n’ont toujours pas atterri, après la double secousse générée par le Covid-19 puis la guerre en Ukraine.
Jeter l’assurance avec l’eau dans laquelle ont baigné les blés ?
La moisson 2024 va indéniablement fragiliser notre marché export qui, bon an mal an, absorbe 50% de la production de blé tendre. Elle va aussi impacter significativement les trésoreries et les bilans des exploitations. Car avec une chute du rendement moyen de 15 % à 20% selon les estimations, et des cours au plancher, inutile de dire que de nombreux producteurs ne vont pas couvrir leur prix de revient. 20%, c’est aussi le seuil de déclenchement de l’assurance multirisque climatique. Pas de chance. Faut-il jeter l’assurance récolte avec l’eau dans laquelle ont trop baigné les blés cette campagne ? Assurément non. D’abord parce que nombreux sont ceux qui vont enregistrer des pertes bien supérieures à 20%. Ensuite parce que l’assurance est subventionnée à 70% et qu’elle intègre un mécanisme de solidarité nationale à hauteur de plusieurs centaines de millions d’euros par an d’argent public (et il n’est pas assuré que l’Etat, qui a accouché de cette réforme au bout de dix ans, en la voulant « universelle et accessible » au plus grand nombre, remette indéfiniment au pot à coup de dégrèvements, d’allégements et autres exonérations). Enfin parce que la récurrence et l’intensité des aléas climatiques sont promises à s’accentuer dans les années à venir et que l’assurance est une réelle béquille de résilience.
Passée la trêve, haro sur la moyenne
Pour autant, la piteuse moisson 2024 va générer un autre dégât collatéral : la dégradation des références historiques de rendement des exploitations. Celles-ci sont établies sur la meilleure valeur entre le rendement triennal sur les trois dernières années et la moyenne dite olympique sur les cinq dernières années, en excluant la meilleure et la plus mauvaise récolte. Une arithmétique mise à mal par le changement climatique et qui pourrait entraver la dynamique de souscription à l’assurance récolte, qui couvre aujourd’hui 1 ha sur 3 de grandes cultures, la réforme précitée visant un ratio de 6 sur 10 en 2030. Pour en changer, il faudra que l’UE porte le sujet à l’OMC, « préoccupation » que le gouvernement français (démissionnaire) s’était engagé à porter. Il n’y plus qu’à espérer que les prochains gouvernants décrocheront cette médaille dorée comme les blés, une fois la trêve et la vacance passées.