La grande distribution se réorganise en super-centrales d’achat européennes

Vaste réorganisation pour Intermarché, Auchan et Casino, départ de Coopérative U d'une centrale européenne : la mutualisation des achats par les supermarchés, faite au nom du moindre coût, est impopulaire auprès de nombreux fournisseurs et de certains responsables politiques.

Qu’est-ce que Aura Retail, l’alliance entre Intermarché, Auchan et Casino ?

Les Mousquetaires/Intermarché, Auchan et Casino ont officialisé le 23 septembre leur alliance hors norme dans les achats, pour une durée de dix ans et nommée « Aura Retail ». Respectivement 3e, 5e et 7e distributeurs alimentaires en France, ils vont mutualiser leurs forces d'achat au sein d'une kyrielle de sociétés, dont deux basées hors de France.

Concrètement, deux centrales d'achat de denrées alimentaires (des biscuits aux yaourts en passant par les sodas par exemple) seront basées à Massy (Essonne) et pilotées par le plus gros des trois distributeurs, Intermarché. Une centrale d'achat de denrées non-alimentaires (du textile par exemple) sera basée à Villeneuve-d'Ascq (Nord) et pilotée par Auchan. Deux centrales vendant des services aux grands fournisseurs agroalimentaires ou industriels comme Coca-Cola, Mondelez ou L'Oréal par exemple, vont également être implantées à Bruxelles pour l'alimentaire et au Luxembourg pour le non-alimentaire.

Dernier point dans cet écheveau : Intermarché et Auchan ont annoncé dans un second communiqué lundi soir que cette entité nouvellement créée allait rejoindre deux puissantes centrales européennes rassemblant des concurrents distributeurs européens, Epic et Everest. C'était auparavant le 4e distributeur français, Coopérative U, qui faisait partie de ces deux centrales, mais le média spécialisé LSA a indiqué samedi qu'il l'avait quitté. Ce que l'enseigne n'a pas souhaité commenter.

Quels sont les objectifs d’Aura Retail ?

L'objectif de l'ensemble est de « négocier les meilleures conditions tarifaires auprès des plus puissants industriels multinationaux », dixit Auchan et Intermarché, qui assurent que cela permettrait « aux consommateurs de bénéficier de prix plus avantageux ». Les enseignes parlent aussi d'opérer « des synergies à l'achat », sans précision sur un éventuel impact sur l'emploi. Premier syndicat au sein d'Auchan, la CFTC a récemment précisé qu'il n'y avait « pas de pertes d'emplois annoncées » mais que « plusieurs inquiétudes subsistent ». Le leader du secteur E.Leclerc dispose lui aussi d'une centrale à l'étranger, Eurelec, partagée avec l'allemand Rewe. Elle vise « non pas à détourner une loi, mais à avoir le poids suffisant » face aux multinationales, avait expliqué fin septembre 2023 à l'Assemblée nationale Philippe Michaud, coprésident du groupement.

Ces centrales sont toutefois soupçonnées de permettre de s'affranchir des lois nationales, notamment la loi française. Eurelec a d'ailleurs été sanctionnée en août d'une amende de 38 millions d'euros par la Répression des fraudes (DGCCRF) pour avoir dépassé la date limite des négociations commerciales avec 62 de ses fournisseurs.

En avril, le patron de Coopérative U Dominique Schelcher plaidait : « on peut aussi respecter les éléments d'Egalim » sur la rémunération des agriculteurs « au niveau européen ». Il indiquait que « la Commission européenne en la matière [était] très ouverte, en disant que ces centrales [étaient] bonnes pour le pouvoir d'achat des Européens ».

Qu’en pensent les agro-industriels ?

Lors de la crise agricole en début d'année, les centrales d'achat et de services ont toutefois été pointées du doigt par des syndicats agricoles et par des responsables politiques, jusqu'au plus haut niveau de l'État. Emmanuel Macron avait ainsi estimé qu'il fallait s'assurer qu'il n'y ait pas « au niveau de l'Europe un contournement » des règles « par les grandes centrales d'achat européennes ».

L'une des principales organisations représentant les agro-industriels, l'Association nationale des industries alimentaires (Ania), a fustigé mardi des distributeurs qui « créent ou rejoignent des centrales d'achat européennes pour contourner allègrement la loi française ».

Faute de mesures, « le problème des centrales d'achat internationales, qui organisent le contournement de la loi française, ne concernera plus uniquement les grandes entreprises, mais s'étendra d'ici peu aux ETI et aux PME », entreprises de plus petite taille, a estimé le président de l'organisation, Jean-François Loiseau.