La profession se divise autour des promesses de l’agrivoltaïsme

Poule aux œufs d’or ou mirage ? La réalité de l’agrivoltaïsme est sans doute entre ces deux visions. Au sein de la profession agricole, le débat est pourtant devenu binaire. Au-delà des évolutions réglementaires et politiques actuelles, plusieurs acteurs ont joué le jeu de donner leur vision du développement de l’agrivoltaïsme à moyen et long terme.

L’agrivoltaïsme, un sujet clivant ? Un doux euphémisme. Dans les campagnes, le sujet divise entre pro et anti-production d’énergie photovoltaïque dans les parcelles agricoles. « Actuellement, sur le terrain, ce n’est pas populaire d’être contre l’agrivoltaïsme », constate Nicolas Fortin, élu en charge du sujet à la Confédération Paysanne. Le syndicat est farouchement opposé au développement de ce type d’installations solaires et pousse à poursuivre le développement du photovoltaïque en toiture. Lui-même agriculteur dans le sud de la Vienne, Nicolas Fortin remonte des appels incessants d’énergéticiens cherchant des surfaces agricoles pour implanter des panneaux photovoltaïques. Preuve de la dynamique nouvelle de ce secteur en pleine expansion.

Un développement sur les terres superficielles

Pour Audrey Juillac, présidente de la Fédération française des producteurs agrivoltaïques (FFPA) et elle-même agricultrice dans le Lot-et-Garonne, la production pourrait atteindre à terme 100 000 hectares, soit 50 GW d’électricité, pour couvrir la demande, ce qui représenterait moins de 0,1 % de la SAU française. Elle évoque un potentiel de développement intéressant dans le « croissant de cailloux », autrement dit les zones intermédiaires, des Charentes à la Lorraine. Un zonage que confirme Cécile Magherini, directrice générale de l’entreprise Sun'Agri. « Selon nous, c'est là où le changement climatique est le plus fort, que l'agrivoltaïsme a le plus de sens et d'impact », commente la dirigeante.

"L’agrivoltaïsme pourrait permettre de revenir à l’élevage"

« Ce sont des terres superficielles. L’élevage y a été abandonné au profit des grandes cultures, mais avec des rendements trop faibles. L’agrivoltaïsme pourrait permettre de revenir à l’élevage, ovin notamment », prédit-elle. Ce recours à l’élevage ovin est sur toutes les lèvres. À première vue, il est plus facile de produire de l’herbe que du blé ou des légumes sous l’ombrage photovoltaïque. La production ovine a le mérite de s’adapter facilement à la présence de panneaux dans les champs et de combler un déficit commercial puisque la France importe une large part de la viande ovine consommée.

L’élevage n’est pas l’alpha et l’oméga de l’agrivoltaïsme

Pour autant, cette vision orientée vers l’élevage n’est pas entièrement partagée par tous. La société Sun’Agri, qui développe des modèles agronomiques basés sur l’agrivoltaïsme, adapte la production d’énergie à la production agricole et non l’inverse. L’un de ses concepts repose sur des panneaux orientables afin de privilégier le rendement, même si cela réduit la production énergétique. « Idéalement, il faudrait que 50 % des surfaces agrivoltaïques soient dédiées aux productions végétales, car c’est là que le bénéfice pour la production agricole est le plus important. Nos projets augmentent le rendement et la qualité tout en consommant moins d'eau », souligne Cécile Magherini. Lors d’un webinaire organisé par Sun'Agri début 2025, le climatologue Serge Zaka soulignait le rôle de l’agrivoltaïsme pour limiter le stress thermique et l’évapotranspiration pour s’adapter au changement climatique dans la partie sud de la France.

Débat autour de l’activité agricole

Par principe, l’agrivoltaïsme induit un maintien du rendement agricole. Un décret de 2024 décrit plus précisément le mécanisme. Le rendement doit être égal à 90 % d’une zone de référence limitrophe non couverte par les panneaux. « Il n’y aura rien de plus simple que d’impacter volontairement à la baisse le rendement sur la parcelle de référence. Les agriculteurs vont percevoir une rente annuelle équivalente au prix des terres. Ce n’est plus une aide aux revenus. On va se retrouver avec des gens qui entretiennent des moutons pour justifier la production électrique », prévoit Nicolas Fortin.

Audrey Juillac estime, elle, que la menace d’un démantèlement de l’installation est un garde-fou suffisant pour éviter toute dérive. « Il faut 18 ans pour qu’une centrale soit rentable et elle coûte très chère à démanteler », souligne-t-elle. Chez Sun’Agri, on plaide pour le recours à une certification pour garantir un agrivoltaïsme vertueux. « Sun'Agri pense que l'utilisation du label agrivoltaïsme de l'AFNOR est un bon outil pour contrôler les projets. L'observatoire de l'Ademe aussi mais il faut aller vite pour le mettre en place et montrer les technologies qui fonctionnent. Si les énergéticiens sentent que la seule manière de développer l’agrivoltaïsme est de respecter l’agronomie, cela peut fonctionner », avance Cécile Magherini.

Des propositions qui ne convainquent pas Nicolas Fortin. « Qui va contrôler ? », s’interroge l’élu syndical. Il prend pour exemple les serres agrivoltaïques de Bourgneuf-en-Retz dans le Maine-et-Loire dont la production agricole est abandonnée depuis plusieurs années alors que la production énergétique se poursuit. « On devrait retirer le permis et démolir l’installation. Mais personne ne fait rien », regrette-t-il.

L'enjeu de l'installation

L’un des dilemmes de l’agrivoltaïsme est de garantir des structures d’exploitations qui puissent être reprises. Un enjeu pas si évident aux yeux d’Emmanuel Hyest, président de la Safer. « Nous voyons à la Safer que des installations de production énergétique peuvent compliquer le choix du repreneur. Le prix de la reprise augmente et les jeunes n’ont pas forcément la capacité bancaire pour le supporter », analyse-t-il. Ses craintes se portent également sur des agriculteurs arrivant à la retraite et ne souhaitant pas céder l’exploitation pour conserver la rente liée à la production énergétique. « Si lors du départ en retraite, la structure n’est pas transmise, il faudrait pouvoir demander le démantèlement de l’installation sans procédure », propose-t-il.

Pourtant, il reconnaît que tout n’est pas blanc ou noir. « Dans quelques cas, sur des terres intermédiaires sans pression foncière, nous avons pu installer des jeunes en s’appuyant sur un projet d’agrivoltaïsme », évoque le président de la Safer. Un constat qu’appuie Audrey Juillac. « Un jeune agriculteur qui s’installe avec une surface en agrivoltaïsme pourra justifier d’un revenu fixe annuel pour rassurer les banques », explique-t-elle.