Sur serre et contre l’effet de serre, l’agrivoltaïsme dynamique fait coup double

[Reportage] A Thuir (Pyrénées-Orientales), Pierre Batlle et Sun’Agri ont couvert 1 ha de serre de panneaux solaires orientables, cumulant les bénéfices de précocité et de productivité et, grâce à l’ombrage, de régulation climatique et de sobriété hydrique. Sans oublier la production d'énergie décarbonée.

Il fut un temps où les serres permettaient de gagner en diversité, en précocité et en productivité, grâce à ce fameux effet de serre – cantonné alors aux cultures sous abri - maximisant la photosynthèse et assouvissant nos besoins alimentaires. Et puis l’effet de serre a pris la poudre d’escampette et a colonisé toute la planète, au point de faire peser une menace existentielle sur l’Humanité.

A Thuir, avec en arrière-fond le massif du Canigou (2785 mètres), les Pyrénées sont orientales et les panneaux sont orientables
A Thuir, avec en arrière-fond le massif du Canigou (2785 mètres), les Pyrénées sont orientales et les panneaux sont orientables

En France métropolitaine, le département des Pyrénées-Orientales (PO) est un poste avancé du changement climatique. Depuis maintenant deux ans, la quasi-totalité du territoire est maintenue en alerte sécheresse, sous l’effet d’une pluviométrie divisée par deux par rapport aux normales, soit en l’état actuel, au niveau de celle de Marrakech (Maroc).

Dans les PO, le climat confine à la semi-aridité, avec des répercussions pour tous les usagers, dont les agriculteurs. Biberonnés au goutte-à-goutte, les abricotiers et les pêchers pâment tandis que la vigne atteint ses limites de résilience. Le maraichage, le troisième poumon agricole du département, n’est pas épargné.

Désignant une serre contigüe, « voyez cette serre, il y a cinq ans, j’ai installé des ouvrants latéraux pour pouvoir la refroidir plus vite », explique Pierre Battle, qui dirige avec son frère Julien le groupe Ille Roussillon, producteur et metteur en marché de fruits et légumes à Thuir (Pyrénées-Orientales). De là à climatiser les serres... « La climatisation, non, en revanche, les panneaux photovoltaïques en guise d’ombrage, oui ».

Depuis quelques années, le maraicher a doté ses serres d’ouvrants latéraux... pour pouvoir les refroidir plus vite
Depuis quelques années, le maraicher a doté ses serres d’ouvrants latéraux... pour pouvoir les refroidir plus vite

Le maraicher a mis en production courant 2023 une serre de 1 ha sous persiennes agrivoltaïques orientables, qu’il a inaugurée en plantant des artichauts violets (variété Opéra), destinés à être commercialisés en bouquets. La précision est importante. Pierre Batlle n’est pas totalement néophyte en matière d’agrivoltaïsme, exploitant par ailleurs une serre « damier », comptant 40% de panneaux photovoltaïques en guise de toiture. « Dans mon autre serre, j’ai du mal à produire en bouquet car l’ombrage réduit la longueur des entre-nœuds, ce qui n’est pas le cas ici ».

L’ombrage a pour effet d’allonger la longueur de l’entre-nœud, une propriété attendue pour pouvoir commercialiser les artichauts en bouquets
L’ombrage a pour effet d’allonger la longueur de l’entre-nœud, une propriété attendue pour pouvoir commercialiser les artichauts en bouquets

C’est le premier acquis de la nouvelle serre, qui bénéficie de la technologie et de l’ingénierie de Sun’Agri. « Le taux de couverture en panneaux photovoltaïques n’est que de 25%, explique Anne-Lise Salomé, responsable chez Sun’Agri des relations institutionnelles en Occitanie et Nouvelle-Aquitaine. Le fait qu’ils soient orientables permet en prime d’adapter le ratio d’ensoleillement et d’ombrage aux exigences agronomiques de la culture, sur la base de différents capteurs disséminés dans la serre et de notre algorithme de pilotage, qui privilégie toujours le rendement agronomique par rapport au rendement énergétique ». 

Dépourvue de panneaux, la zone témoin va permettre d’évaluer les incidences, positives et négatives, de l’agrivoltaïsme sur les performances technico-économiques
Dépourvue de panneaux, la zone témoin va permettre d’évaluer les incidences, positives et négatives, de l’agrivoltaïsme sur les performances technico-économiques

Les entre-nœuds, c’est une chose, le rendement c’est autre chose. A quelques semaines de la fin du cycle de production, Pierre Battle attend une production au moins équivalente à celle qui serait produite dans une serre sans panneaux, respectant part la même occasion l’esprit et la lettre du décret fixant le cadre réglementaire l’agrivoltaïsme, publié il y a quelques semaines, avec en prime, sur une année complète d’exploitation de la serre, une économie escomptée d’au moins 20% de la consommation d’eau. Ces paramètres, le producteur pourra aisément, et scientifiquement, les vérifier car la serre intègre une zone témoin et non ombragée de 0,15ha, comme dans tous les projets développés par Sun’Agri depuis 15 ans, là encore en conformité avec le décret. Le suivi agronomique est confié à la Chambre d’agriculture pour une durée de cinq ans.

A Thuir, environ 160 foyers vont bénéficier d’une électricité décarbonée grâce à la serre agrivoltaïque d’un hectare, zone témoin incluse
A Thuir, environ 160 foyers vont bénéficier d’une électricité décarbonée grâce à la serre agrivoltaïque d’un hectare, zone témoin incluse

Comparativement aux mêmes artichauts produits en plein champ, le maraicher n’aura pas les pertes de qualité dues à la tramontane et au frottement des feuilles sur les capitules. A contrario, il aura fait l’économie de l’assurance grêle, ainsi que de deux passages insecticides grâce à l’atmosphère protégée, confortant sa classification HVE. « En arrivant sur le marché avec 4 à 5 semaines d’avance par rapport à l’artichaut de plein champ, non seulement je valorise mieux mais je lance le courant d’affaires avec la grande distribution et je prends commercialement la main, confie Pierre Battle. C’est un réel enjeu stratégique pour l'entreprise ». Ça s’appelle l’effet de serre... mais avec un peu moins d’effet de serre. A Thuir, environ 160 foyers vont bénéficier d’une électricité décarbonée, moyennant un investissement à 1,35 million d’euros dans 500 kWc de puissance électrique installée.

A Llupia (Pyrénées-Orientales), une parcelle d’artichaut victime de la grêle en septembre 2023, un risque en moins, et une assurance en moins, pour Pierre Batlle
A Llupia (Pyrénées-Orientales), une parcelle d’artichaut victime de la grêle en septembre 2023, un risque en moins, et une assurance en moins, pour Pierre Batlle

A la suite des artichauts, des productions de concombres ou de céleris, qui ont déjà fait leurs preuves dans la serre solaire à damier, pourraient être installés. Quelle soit l’espèce, le prochain cycle de production s’opérera sous la chaleur estivale. Pour Anne-Lise Salomé, tout l’enjeu va consister à scruter et à quantifier l’effet de l’ombrage sur la physiologie de la culture et sur son rendement. « Il faut que l’ombrage produise un effet et rende un service », avance-t-elle. L’entreprise, qui pilote une vingtaine de sites agrivoltaïques sur un (large) croissant méditerranéen, et qui a documenté le sujet, n’a guère de doutes. Pas plus que Pierre Batlle, qui a fait déjà confiance à Sun’Agri en implantant en 2022, sur 2,3ha (+0,4ha de zone témoin), un verger de poiriers sous des ombrières dynamiques.

En 2022, Ille Roussillon et Sun’Agri ont implanté à Llupia un verger agrivoltaïque de poiriers, sur 2,7ha, dont 0,4ha de zone témoin
En 2022, Ille Roussillon et Sun’Agri ont implanté à Llupia un verger agrivoltaïque de poiriers, sur 2,7ha, dont 0,4ha de zone témoin

Dans les deux cas, la plateforme d’investissement Râcines a financé l’intégralité de l’infrastructure, hors foncier, avec l’aide de la Région Occitanie, via son Agence régionale énergie climat (AREC). Ce qui fait dire au maraicher, que « ce modèle économique est parfaitement adapté à des candidats à l’installation, pour peu qu’ils aient le bagage technique et qu’ils soient accompagnés ». Une mission à laquelle Sun’Agri compte apporter sa contribution en créant un « club des Sun’Agriculteurs ». « , poursuit Pierre Battle, avec cette serre agrivoltaïque, on a là un outil financièrement autoporté par la production d’énergie décarbonée, agronomiquement performant, sobre en intrants et qui nous permet, à nous producteurs, de nous projeter dans l’avenir ».

En 2018, la DDTM des Pyrénées-Orientales document le phénomène des serres « alibi »: sur les 280 ha d’installations répertoriées à l’époque, plus de 180 ha étaient peu ou pas productives
En 2018, la DDTM des Pyrénées-Orientales document le phénomène des serres « alibi »: sur les 280 ha d’installations répertoriées à l’époque, plus de 180 ha étaient peu ou pas productives

Et pourtant, avec ses procès en « financiarisation », en « confiscation » ou encore en « artificialisation déguisée », qui lui sont intentés ici ou là, l’agrivoltaïsme suscite du scepticisme. Il se trouve que le département des PO n’est pas exempt de critiques et a révélé au grand au jour la part d’ombre des serres « alibi ». En 2018, une enquête de la DDTM révélait que 180 des 280 hectares implantés étaient peu ou pas productifs (en légumes).  « On était démarché tous les jours », se rappelle Pierre Batlle.

Dans la famille Batlle, on produit et on vend des fruits et légumes depuis 1923 et on ne compte pas s’en laisser conter, ni par le climat, ni par les sceptiques, ni par les marchands de soleil. Le soleil, il est dans les artichauts, les salades, les concombres, les abricots, les pêches etc...